Pourquoi les Français forment-ils le peuple le plus pessimiste du monde ? Plus sombres que les Irakiens, plus désespérés que les Afghans… Chaque année, l’enquête internationale de Gallup sur le sujet, qui vient d’être publiée, arrive à ce résultat. Et chaque année, nous tombons de l’armoire.
Certes, une partie du réel n’est pas gaie, plombée par le chômage. Mais cela ne suffit pas à expliquer cette mélancolie car s’il suffisait de regarder la réalité dans laquelle nous vivons en France pour se forger une humeur, les qualités d’un pays éduqué, soigné, équipé et beau de surcroît, équilibreraient notre façon de voir. En vérité, ce n’est pas le réel qui nous mine tant. C’est le récit que l’on nous en fait. Qui déploie d’abord les peurs, l’inquiétude, le désamour de soi. C’est celui des politiques, des experts, des spécialistes et du café du commerce. De tout le monde. Se produit à l’échelle d’un peuple ce qui existe à celle d’un élève, la certitude d’être «nul» parce qu’on vous l’a dit. Dans la volière des oiseaux de mauvais augures qui nourrissent ce discours, nous, journalistes, sommes assez haut perchés. Nous participons aussi de ce cafard national. Avec de bonnes raisons d’ailleurs : le fondement même de notre métier est d’aller mettre au jour les dissimulations, les dysfonctionnements, les abus, les scandales. Le journaliste est un sceptique professionnel. C’est l’honneur de la profession et, à tout le moins, une précaution de base pour ne pas se faire rouler dans la farine.
Mais se contenter de cela, c’est évacuer l’autre impératif de l’exercice. Nous devons, autant que possible, donner à voir le pays tel qu’il est, autrement dit parfois inventif, créatif, innovant ou solidaire. Et là, nos affaires se compliquent. Comment ne pas avoir l’air crédule ? Pire, nunuche ? Une rédaction à laquelle on demande d’écrire sur une réalité positive aborde le sujet avec une pince à linge sur le nez. Pourtant, quand Libération réalise une fois par an le Libé des solutions, en partenariat avec Reporters d’espoir, une agence de presse spécialisée dans ce créneau, les ventes remontent.
Osons une hypothèse : les lecteurs auraient envie de savoir s’il existe des pistes de sortie de la crise, et par le haut de préférence. Côté problèmes ça va, servi merci, comme on dit au poker. Pour nous, journalistes, répondre à cette demande ne consiste pas à favoriser «l’actualité heureuse» en passant tout le reste à la gomme, mais à décrypter les avenirs possibles en partant de ce que l’on perçoit déjà dans la société. Pour peu, bien sûr, que l’on aille y voir.
Dans un moment où la presse, prise dans son pessimisme à elle, se pense condamnée à mort, offrir un miroir un peu moins déformant à ses lecteurs peut aussi être une façon de refonder son projet éditorial. A notre tour de poser, dans nos approches, la question de la sortie par le haut. Notre récit peut être autre chose que celui de la punition collective ou du pire qui est sûr. Nul doute qu’un lectorat existe pour cet équilibre journalistique là.
Dernier ouvrage paru : «Pour en finir avec les grincheux», éd. Fayard
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