Ce texte relate le quotidien d'un chercheur au plus fort de l'invasion Compta-Gestio, ses doutes et sa révolte.
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Lundi 12
Nous sommes à deux semaines d'un congrès international que nous organisons sur place, tout le monde est à bloc. Le service comptable de l'Université me signale qu'ils n'ont reçu aucun frais d'inscription des congressistes et qu'ils bloquent notre compte achat. Branle bas de combat ! Nous contactons des collègues congressistes qui nous envoient les preuves de leur virement à l'Université, ouf ! En réponse, le service comptable nous indique finalement qu'ayant un mois de délai dans le traitement des mouvements ils ne peuvent effectivement les avoir vus...
Heureusement, toutes nos factures étaient déjà payées. En revanche, il m'est totalement impossible de savoir si les personnes qui viendront auront réglé leur inscription ou pas. Super !
Nous avons invité un chercheur étranger pour le colloque. L'université nous demande un justificatif de non paiement pour être sur que l'université d'origine du chercheur ne lui paye pas aussi son voyage.
Si quelqu'un pouvait m'expliquer la logique de ce contrôle, j'apprécierais...
Le pauvre chercheur américain a bien du mal à comprendre ce qu'on exige de lui mais demande néanmoins à son chef qui nous envoie un magnifique mail : "Oui, oui, je ne paye pas le voyage de Bill et j'espère qu'il aura bien du plaisir à partager ce moment avec vous !"
Je doute que notre comptable accepte ça comme un justificatif de non paiement mais on ne sait jamais...
Mardi 13, le midi
Mon collègue paléontologue qui appartient à un comité d'évaluation de programme m'explique que les sommes distribuées dans ce programme oscillent entre 5 000 et 8 000 €.
Un rapide calcul montre que le temps passé par les chercheurs à discuter et écrire le projet, et par les experts qui l'ont évalué équivaut à 3 500 à 6 000 €. Pour les plus gros projets qui ont mobilisé plusieurs équipes et plus de temps au montage, peut-être faudrait-il envisager de demander un paiement au lieu de leur proposer de l'argent ?
Mardi 13 après-midi, soir et mercredi 14
Je dois produire les justificatifs de la totalité des dépenses d'un projet qui a duré près de 4 ans. Bien évidemment, pour différentes raisons, certaines dépenses ont été prises sur d'autres projets (une action de recherche dépend souvent de plusieurs projets en même temps) et certaines dépenses en dehors de la période initialement définie. La liste des dépenses est donc fausse à environ 20%.
De toute façon les personnes examinant ces factures n'ayant strictement aucune idée de ce qu'on a fait, cela ne nous incite pas à donner un sens réel aux comptes.
La gestionnaire du labo (qui appartient au CNRS) étant submergée, j'ai du faire moi-même une partie des tableaux récapitulatifs... Tout est transmis à la direction générale du CNRS. Une personne reprend alors la base comptable qui est la même que la notre et vérifie toutes les factures que nous en avons extraites avant de les transmettre à l'agent comptable pour validation.
Deux personnes du même établissement auront fait le même travail, travail dont le sens reste à démontrer, belle efficacité ! Tout cela garanti-t-il une quelconque qualité et utilité du travail que nous avons fourni ? Mais peut-être les gestionnaires ont-ils un autre objectif dont je ne devine pas le sens ?
Jeudi 15
Ce matin préparation des comptes-rendus mensuels de notre activité pour un projet européen Interreg : reprendre son agenda pour noter toutes les plages où l'on n'était pas occupé à d'autres activités pour les déclarer sur les différents axes du projet. Les services administratifs calculent ensuite le coût à partir de nos fiches de salaire.
Etonnement, il n'y a aucune case indiquant ce que nous avons fait et si l'on peut juger de la qualité de ces résultats.
Nous savions déjà que ce projet nous demande des photos de nos réunions pour bien démontrer notre présence mais j'ai découvert qu'un chercheur ayant été contrôlé s'est vu reprocher d'héberger sur son ordinateur d'autres documents que ceux relatifs au projet financé par l'Europe !
Qu'un administratif ait pu imaginer une telle règle montre à quel point il vit sur une autre planète que la notre mais qu'aucun de ses chefs ne se soit interrogé sur le bienfondé de cette mesure est encore plus surprenant. A croire qu'il y a là une intention malveillante...
Vendredi matin
En tant que responsable de diplôme (master 2), je reçois ce matin la fiche des modalités d'examens que nous avons construite et qui a ensuite été validée par le conseil de la vie étudiante puis par le conseil d'administration. La fiche nous revient pour signature. Doivent parapher : le responsable de diplôme, de composante, le Président puis un affichage pour les étudiants.
Je calcule rapidement que le simple fait de devoir faire signer toutes ces fiches, à raison d'une demi-heure par diplôme (édition, envoi, réception, signature, renvoi, réception affichage) représente environ un demi-poste budgétaire... Pourtant, on a tellement de tâches importantes pour lesquelles nous manquons cruellement de personnel !
Vendredi midi
Dernier mail de la secrétaire générale de mon labo qui me demande le "prévisionnel" du compte n° HP7082. Je reçois ce mail comme tant d'autres comme si tous les détails de la gestion et la connaissance des opérations à venir était une évidence pour moi. On approche de la fin d'année et tout compte contenant des sommes non dépensées étant susceptible d'être vidé par les services généraux il vaudrait malheureusement effectivement mieux s'en occuper.
Je voudrais bien lui répondre mais la comptabilité est devenue tellement inextricable... Je gère près d'une vingtaine de lignes budgétaires ayant chacune des organismes, des sources de financement et des modes de gestion différentes. Mais pour commencer, il faudrait déjà savoir à quel compte ce numéro correspond. Je pense à la réplique de John Malkovich dans Burn after reading, "Non mademoiselle, je ne connais pas par coeur le numéro de tous mes P*** de comptes !"
Vendredi après-midi
Clément, un des thésards que je co-encadre vient me montrer ses derniers résultats. Les données sont vraiment incroyablement belles, elles montrent parfaitement un effet mal connu. C'est presque trop beau, j'en suis tout excité !
Quel est ma mission finalement ? Former des étudiants, créer des connaissances, les valoriser et les diffuser. Je retrouve avec les données de Clément le bonheur de ce métier. C'est incroyable, j'avais failli l'oublier !
Toute ressemblance avec des faits qui auraient pu m'arriver depuis deux mois ne serait bien entendu que pure coïncidence.
Luc AQUILINA, Professeur Université Rennes 1
Responsable du master 2 HYDRO-cube ( Hydrogéologie-Hydrobiogéochimie-Hydropédologie) Observatoire des Sciences de l'Univers de Rennes Laboratoire Géosciences Rennes, Université Rennes1 - CNRS
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