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mercredi 28 novembre 2012

L’art et "les femmes névrosées"

Guy Duplat
Mis en ligne le 28/11/2012
Les artistes ont montré et montrent encore ces préjugés sur les femmes "névrosées".
Le musée du Docteur Guislain à Gand est un lieu unique et très particulier. Certains n’aiment guère se retrouver dans un véritable hôpital psychiatrique, toujours en activité et aux locaux vieillis. Mais pour d’autres, dont nous sommes, cela fait justement partie de l’intérêt et de la singularité de ce musée, surtout quand il présente une exposition aussi remarquable et stimulante que celle qui s’est ouverte sur "Femmes névrosées, deux siècles d’histoire entre femmes et leurs psychiatres ".
L’exposition est certes d’abord remarquable par le choix des œuvres proposées, mais elle l’est aussi pour son propos. La psychiatrie a longtemps été une affaire d’hommes, omniprésents chez les psychiatres, et qui ont amené leurs préjugés sexistes. Les choses devraient changer avec la féminisation rapide de la profession. Les artistes ont montré et montrent encore ces préjugés sur les femmes"névrosées".
Jadis, on qualifiait vite les femmes de folles ou de névrosées si elles résistaient au manque de liberté que la société leur laissait. Aujourd’hui encore, on qualifie rapidement de mal psychologique les difficultés à assumer les multiples rôles qu’elles doivent remplir. La dépression, l’angoisse, les états borderline, les troubles alimentaires surviennent de manière plus fréquente chez les femmes. Quand on identifie un trouble chez elles, l’interprétation est vite d’ordre psychologique alors que pour un homme, on cherchera une cause physiologique. Aujourd’hui, les femmes consomment 75 % des psychotropes vendus.
L’expo montre que les préjugés sexistes influencent le diagnostic et le traitement. L’agressivité est qualifiée d’"anormale" chez une femme mais "normale" chez un homme. Les psychiatres prescriraient plus vite des sédatifs et antidépresseurs aux femmes alors qu’ils proposeraient davantage d’interventions thérapeutiques actives aux hommes.

On retrouve ces analyses dans l’excellent catalogue. On montre aussi sur un mur comment toutes les couvertures du magazine "Psychologies" sont réalisées avec des portraits de femmes, comme si elles étaient seules à souffrir de ces maux. Parlant d’art, on y rappelle aussi le combat des "Guerilla Girls" américaines qui, en 1989, clamaient qu’au Metropolitan Museum de New York, 4 % seulement des artistes sont des femmes mais que 76 % des nus exposés sont des nus de femmes En 2011, elles ont refait l’exercice avec un score pire encore : 3 % d’artistes femmes et 83 % de nus féminins.
Des oeuvres féminines
Le rapport avec l’art ? Il est évident à l’expo. La majorité des œuvres qu’on y montre ont été réalisées par des femmes et témoignent d’une singularité passionnante comme les belles vidéos de Lili Dujourie se mettant en scène ou les dessins de corps en souffrance de Berlinde De Bruyckere.
Delphine Boel clame son dépit de ne pas avoir été reconnue comme la fille d’Albert II en peignant à répétition le mot "Hypocrisie". L’Iranienne Shadi Ghadirian exprime la frustration des femmes iraniennes en les photographiant en tchador, le visage caché par des ustensiles "féminins" tels que le fer à repasser.
Plusieurs hommes expriment aussi cette difficulté d’être femme dans la société comme Paul McCarthy avec une femme buvant un verre et criblée de balles ou Araki dans ses photographies.
De très grandes artistes auraient pu être qualifiées de "borderline" ou d’hystériques. La Japonaise Yayoi Kusama est mondialement célèbre pour ses pois, devenue une égérie de Louis Vuitton, mais elle retourne chaque soir dans son hôpital psychiatrique. Cindy Sherman pourrait être qualifiée de névrosée narcissique pour avoir construit toute une œuvre sur son travestissement. On admire à Gand une des dernières série de Louise Bourgeois : des broderies toutes simples mais réalisées à partir de vieux vêtements de sa famille. Jamais elle n’a pu régler autrement son traumatisme enfantin à l’égard de sa mère et de son père. Tracy Emin, violée à 13 ans, serait tombée dans la marginalité sans l’art. Son néon : "Fantastic to feel beautiful again".
L’exposition reprend les photographies saisissantes des patientes de Charcot dans des poses cataleptiques. On voit bien sûr aussi des artistes femmes qui ont longtemps vécu en hôpital psychiatrique. Avec une découverte : Gertrud Schyzer et ses cahiers d’aquarelles très belles sur elle-même et sa vie à l’hôpital.


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