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vendredi 30 novembre 2012

Le Point.fr - Publié le 

Derrière la pathologie se cachent de gros enjeux commerciaux. Une bataille sémantique qui vaut son pesant d'or.

"Est-ce que vous sortez tout nu ? Non ! Souffrez-vous pour autant d'une addiction aux vêtements ? Non ! Eh bien, ce n'est pas parce que vous ne lâchez pas votre téléphone portable que vous souffrez d'une addiction." La logique de Serge Tisseron, psy­chia­tre et psy­cha­na­lyste, se veut implacable. 

À voir certains adultes ou adolescents pendus à leur smartphone du matin au soir, connectés à Facebook 24 heures sur 24, nombreux parmi leurs proches sont ceux qui se posent la question d'une "dépendance". Pour Serge Tisseron, il n'existe pas d'addiction avérée au téléphone portable, à Internet et aux réseaux sociaux : "Les critères définissant l'addiction ne sont tout simplement pas établis", explique le spécialiste de l'influence des nouvelles technologies, en référence aux connaissances scientifiques sur le sujet. Un rapport de l'Académie française de médecine de mars 2012 va en effet dans ce sens, recommandant l'utilisation de l'expression moins stigmatisante "pratiques excessives".

Une pathologie derrière la pathologie

Certes, il existe des addictions sans substance, comme celle aux jeux d'argent, mais elle est à ce jour la seule reconnue unanimement par la communauté scientifique. Et, d'un point de vue purement neurologique, les circuits stimulés par l'utilisation de nouvelles technologies ne sont tout simplement pas les mêmes que ceux sollicités dans le cas d'une addiction à un stupéfiant, par exemple, comme l'a étudié Jean-Pol Tassin, spécialiste de la neurobiologie de l'addiction.
Pour Serge Tisseron, le terme "addiction" est tellement galvaudé qu'il est en passe de perdre tout son sens, alors qu'il correspond à un ensemble de signes biologiques bien définis. "S'empêcher de manger du chocolat ou d'aller sur Facebook, c'est contrariant, certes, mais cela n'a rien à voir avec ce dont est capable un alcoolique pour trouver une bouteille !" s'emporte-t-il. Aux parents qui viennent le voir pour remédier à "l'addiction de leur fils", Serge Tisseron répond qu'il faut définir un contrat avec l'adolescent, pour limiter le temps de connexion. Et que si, au-delà de cette durée, le jeune est mécontent de ne pouvoir être connecté, il finira bien par faire autre chose... 
Mais le psychiatre reconnaît que cela ne signifie pas pour autant qu'il n'existe pas de problème. Car les indécrottables qui ne se séparent jamais de leur téléphone portable ou qui ne peuvent rester plus de quelques heures sans s'enquérir de l'actualité de leurs amis Facebook ou sans tweeter une bonne formule peuvent bel et bien être l'objet d'une attitude compulsive, traitée éventuellement par un psychiatre. "Il peut y avoir une pathologie, mais pour la traiter, on doit déterminer et comprendre la pathologie qui est à l'origine de ce trouble, explique Serge Tisseron. En soignant les causes de la pathologie cachée, on peut soigner ses conséquences."

Simple bataille sémantique ?

Et d'illustrer son propos en expliquant que ceux qui sont accros aux nouvelles technologies sont les victimes d'une nouvelle expression de la compulsion : "Comme pour ceux qui nettoient et nettoient encore pour qu'il n'y ait aucune trace de poussière ou ceux qui vérifient plusieurs fois qu'un robinet est bien fermé, utiliser de manière compulsive les nouvelles technologies révèle souvent une angoisse sous-jacente. Internet donne simplement un nouvel aspect à des pathologies anciennes, mais ce n'est pas la pathologie en soi : c'est le lieu qui la révèle." 
"Addiction" ou non : s'agit-il d'une simple bataille sémantique ? Pas seulement. Un réel enjeu économique se cache derrière cette reconnaissance. Car si ces comportements pathologiques liés aux nouvelles technologies étaient officiellement reconnus par le Manuel diagnostique et statistique des troubles mentaux (Diagnostic and Statistical Manual of Mental Disorder, DSM), la référence internationale publiée par l'Association américaine de psychiatrie qui classifie les troubles mentaux, leurs traitements médicamenteux deviendraient alors remboursés. Tout le marché du médicament est d'ores et déjà dans les starting-blocks, prêt à dégainer les pilules ad hoc.

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