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samedi 13 avril 2024

Traumas Attentats, harcèlement, décès d’élèves… comment parler de la violence aux enfants ?

par Margaux Gable   publié le 12 avril 2024

L’actualité comme le quotidien des enfants et adolescents sont parfois sources d’inquiétudes. Pour les parents, briser le mur du silence n’est pas toujours aisé. Une pédopsychiatre livre ses conseils.

Et un jour, tout vacille. La violence s’immisce dans les journées de votre enfant et le propulse dans un autre registre. Celui de la peur, de la brutalité ou de la terreur. De votre côté, vous plongez dans un tourbillon de questionnements insolubles : comment trouver les mots ? Comment l’y préparer tout en le protégeant ? Samuel Paty, Dominique Bernard ou encore Shemseddine à Viry-Châtillon ou Samara à Montpellier… Ces dernières années, la violence a atteint le cœur de l’école, précipitant les enfants au premier rang face à la cruauté. La semaine dernière encore, Yassine (1) allait au collège seul. La semaine dernière encore, le pré-ado de cinquième n’était pas «angoissé» à l’idée d’aller en cours. Jusqu’à ce jeudi 4 avril. Dans l’après-midi, un de ses camarades, Shemseddine, 15 ans à peine, s’est fait tabasser à mort devant son collège à Viry-Châtillon.

Le soir même, Yassine savait. Si ses parents, «sans voix», ont été «incapables d’en parler», se remémore sa mère Lilia (1), le jeune garçon n’a pu échapper ni aux flashs infos à la radio, ni aux gros titres des journaux télévisés. Seul conseil qu’elle est parvenue à formuler : «rester discret et en dehors de tout conflit, encore plus que d’habitude»,retrace-t-elle devant l’établissement de son fils, le vendredi midi. Bientôt un quart d’heure qu’elle reste plantée là, à scruter les moindres faits et gestes de son fils sur le parvis du collège. Quand il passe enfin la grille après la pause méridienne, la mère de famille souffle. Depuis l’aube, elle fait des allers-retours entre son domicile et l’établissement. Pour le moment, impensable qu’il fasse le chemin seul.

Un mur insurmontable

Il est nécessaire de le rappeler : «on n’est pas obligé d’avoir la bonne réponse tout de suite», rassure Nicole Catheline, pédopsychiatre spécialiste de la scolarité et du harcèlement scolaire. Dans ce genre de situation, à chaque parent sa façon d’agir. Pour certains, engager la conversation est chose facile, même si le moment peut rester inconfortable. Pour d’autres en revanche, briser le silence devient un mur insurmontable, face auquel chaque mot a le poids d’un rocher. Quelle que soit la position du parent, aux yeux de la professionnelle, «ce n’est pas très grave de ne pas savoir quoi dire». Car comme dans le cas de Lilia, si les mots ne sortent pas, c’est aux actes de prendre le relais. «On fait beaucoup plus passer par ce qu’on fait que par nos mots. Le corps est un des fondamentaux de la relation, et on l’oublie beaucoup», professe-t-elle.

S’il n’existe pas de guide magique pour parler à ses enfants, bâtir une relation de confiance fait partie des rudiments selon la pédopsychiatre. «Et pour ça, les événements graves peuvent être le début de quelque chose, d’une habitude de dire “bon, il faut qu’on parle de ça”». Une des clés pour faire primer la communication dans sa relation avec son enfant : faire changer de paradigme son regard sur sa scolarité. «Quand un enfant rentre de l’école, plutôt que demander quelles notes il a eues, il faudrait demander comment sa journée s’est passée avec ses professeurs et ses camarades», conseille-t-elle.

Malgré ce lien de confiance mutuelle, prononcer le premier mot peut sembler vertigineux. Manon, mère de deux filles de 6 ans et demi et 10 ans, se souvient que pour les assassinats de Samuel Paty en 2020 et de Dominique Bernard en 2023, «on a un peu été lâches et on a attendu que l’école en parle. Ce qui, avec le recul, n’était pas une bonne idée. Maintenant, on prend toujours les devants». Pour ça, il faut avant tout questionner l’enfant : que sait-il ? Comment a-t-il compris la chose ? «Et à partir de là, il faut rectifier, compléter…» précise la pédopsychiatre. Et il n’est jamais trop tard pour le faire. Anciens habitants du XIe arrondissement de Paris, à deux pas d’une des terrasses visées par les attentats du 13 novembre 2015, Manon et son conjoint sont revenus des années plus tard sur la tragédie avec leur aînée. Si cette dernière était, selon eux, «trop petite» à l’époque pour en parler, «on nous a conseillé de débriefer pour dénouer l’histoire. On a quand même entendu des cris et elle nous a sentis stressés». Une démarche louable selon Nicole Catheline, qui rappelle que les enfants sont des «sacs à pulsion, à action et à réaction», capables de percevoir les émotions de leurs parents.

Repérer les signaux faibles

Clips, musiques, livres, films… tout peut servir de prise à laquelle se cramponner. Pour introduire la notion de harcèlement scolaire à ses filles, Manon a par exemple profité du dessin animé japonais le château solitaire dans le miroir, qui fait découvrir l’univers parallèle de Kokoro, une collégienne harcelée, et de six autres ados, qui en sont aussi victimes. «Après, on a eu un débat, je leur ai demandé si elles savaient ce que c’était et on a interrogé ensemble la notion d’amitié», partage-t-elle. A l’avenir, si la situation venait à se produire, Manon «espère» que ces filles oseront lui en parler, «du moins, plus facilement que si on n’avait pas vu le film».

Pour nombre de parents en revanche, les discussions autour du harcèlement ont lieu quand ils apprennent que leur enfant en est victime. Au cours de l’année scolaire 2022-2023, Patricia remarque que son aîné, au demeurant «plutôt tranquille», a brusquement changé de comportement. Au point de devenir «agressif envers sa petite sœur». «La souffrance psychique passe souvent par d’autres signes. L’enfant ne veut plus aller en classe, ne travaille plus, a des mauvais résultats scolaires, rate le bus, est irritable… ce qui est insidieux car ces signes peuvent correspondre à beaucoup d’autres difficultés», rappelle Nicole Catheline.

Si dans la majorité des cas, déceler des faits de harcèlement chez son enfant est un épineux parcours qui demande de repérer les signaux faibles, Patricia s’estime «chanceuse» : son fils en sixième s’est confié «de lui-même». Les mois qui ont suivi, l’équipe pédagogique du collège a pu prendre le relais et accompagner son fils de son entrée à sa sortie de l’établissement. «Une CPE s’est particulièrement occupée de lui : chaque soir, il avait pour mission de passer devant son bureau avec le pouce en l’air ou le pouce vers le bas, selon la journée passée»,rembobine-t-elle. Une implication «remarquable», selon Patricia, dont sont aujourd’hui détournés de nombreux CPE, professeurs ou assistants sociaux scolaires, à cause du manque de moyens et de bras, chaque jour plus criants dans les établissements publics.

(1) Le prénom a été modifié.


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