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samedi 13 avril 2024

Femmes La lutte contre les violences obstétricales et gynécologiques s’organise

par Marlène Thomas      publié le 10 avril 2024

Portée par la vague #MeToo, associations et patientes ont réussi à briser ces dix dernières années le tabou autour de cette forme de maltraitance. Une mobilisation qui se heurte à la résistance d’une partie de la corporation.
 

«Pour me remettre, je n’ai pas eu d’autre choix que de vouloir changer le monde.» Victime de violences obstétricales à la naissance de sa fille, en 2015, Sonia Bisch a fondé en 2017 le collectif Stop aux violences obstétricales et gynécologiques France. Un collectif accompagnant, depuis sept ans, les vagues de dénonciations successives de praticiens, parfois de renom, tels que la secrétaire d’Etat Chrysoula Zacharopoulou, ou Emile Daraï (spécialiste de l’endométriose), visé par 32 plaintes pour «viols» et «violences». Portée par la déferlante #MeToo et l’arrivée de professionnels plus sensibles à ce sujet, la lutte contre les violences obstétricales et gynécologiques a, depuis dix ans, franchi le seuil des cabinets.

«Dès 2021, j’ai diffusé des témoignages anonymes, en indiquant les lieux et les dates pour briser encore davantage le déni», retrace Sonia Bisch, autrice de Violences obstétricales et gynécologiques : que fait-on de la parole des femmes ? (l’Harmattan). Chaque mois, plus de 200 sont reçus par ce seul collectif. «Grâce à ces témoignages, j’ai compris avoir été victime de viol, lorsque ma gynécologue a refusé ma demande d’arrêter une échographie endovaginale», confie Maïlys, étudiante de 22 ans.

Marie se souvient, elle, de ces dix minutes «où elle a souffert le martyre» en raison d’une césarienne mal anesthésiée en 2013 et des mots du médecin : «Il m’a appelé «la pleureuse».» Cette kiné de 42 ans mesure, toutefois, le chemin parcouru dans la société. «En 2013, personne n’en parlait. Je n’ai pris conscience qu’en 2018 que j’avais subi un geste violent grâce à un anesthésiste. La parole s’était alors libérée.» Si cette année-là, le Haut Conseil à l’égalité (HCE) alerte sur le caractère «généralisé et systémique» de ces violences obstétricales et gynécologiques, dès novembre 2014, 7 000 femmes témoignaient en vingt-quatre heures sous le hashtag #PayeTonUterus. Déjà fragilisée par la crise des effets secondaires des pilules de 2012-13, la profession se voit aussi bousculée, cette année-là, par la condamnation de l’un des leurs, André Hazout, à huit ans de prison pour viols.

«Un seul corps»

Peinant à reconnaître ces violences, une partie de la profession s’abrite derrière un corporatisme complaisant, alimenté par les instances telles que le Collège national des gynécologues et obstétriciens. «Un gynécologue près de Tours a demandé à ses patientes de signer un formulaire de consentement à tous les examens, faute de quoi les rendez-vous pouvaient être annulés», illustre Sonia Bisch.

Solène déplore : «La France ne reconnaît pas ces violences, on n’est pas près de gagner.» Cette ex-enseignante de 39 ans a subi «un curetage à vif» à l’été 2023 alors qu’elle faisait une fausse couche. Et s’est vu rétorquer par le médecin, lors d’une médiation, «qu’il avait fait ce qu’il avait à faire». Sonia Bisch regrette la faible place accordée à la parole des patientes et des associations par les soignants : «Seuls des étudiants nous contactent pour donner notre formation, jamais les doyens. Au Canada, les patientes expertes participent depuis trente ans à la formation médicale.» Constatant une hausse des demandes de conseils pour des recours en justice, la militante a recours à une image : «Quand Judith Godrèche s’exprime, elle s’attaque à la famille du cinéma. Là, ce n’est même pas une famille, ils sont un seul corps. En attaquer un, c’est les attaquer tous.»

Accompagnement et paternalisme

De leur côté, les femmes font également bloc, s’apportant conseils et bonnes adresses. Ayant hésité à entamer un nouveau parcours de PMA en raison des violences subies durant le premier, Léa a perdu «confiance dans le corps médical» et est «allée chercher sur des sites comme Gyn & Co des noms de médecins validés par un certain nombre de femmes». Cette médiatrice en musée de 34 ans pointe néanmoins «une évolution» : «Les sages-femmes expliquent davantage les examens et certains praticiens m’ont même demandé mon consentement [obligatoire depuis la loi Kouchner de 2002, ndlr].» Après une expression abdominale (pression sur l’utérus) qu’elle a «refusée» et une «épisiotomie par surprise» (incision du périnée) lors de son accouchement en 2013, Margo s’est de son côté tournée vers une sage-femme. «Leur position est plus dans l’accompagnement, moins dans le paternalisme», juge cette doula (personne qui apporte un soutien physique et moral aux femmes enceintes) de 38 ans.

Souffrant de stress post-traumatique, Natacha (1) n’a, elle, plus aucun suivi depuis son accouchement il y a deux ans et demi : «Je suis incapable d’être “touchée” à cet endroit-là.» Elle décrit la douleur intense, couplée à l’incompréhension, alors que le gynécologue tait la complication rare dont elle souffre. «Etre spécialiste ne suppose pas d’avoir le droit de traiter un autre humain comme du bétail», tonne cette fille de médecins. Toutes espèrent désormais voir ces violences reconnues. Sur l’impulsion des collectifs de victimes, deux propositions de loi (LFI et EE-LV) ont été déposées en 2023 pour les faire inscrire dans la loi.

(1) Le prénom a été changé.


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