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mercredi 10 avril 2024

Interview «Il y a un risque très élevé que la taxe lapin soit contre-productive»

par Julie Lescarmontier   publié le 8 avril 2024

Avec sa «taxe lapin» de 5 euros, Gabriel Attal espère garantir des millions d’heures de rendez-vous médicaux. Pour le chercheur en économie comportementale Nicolas Jacquemet, rien n’est moins sûr. Il craint au contraire une augmentation des annulations si on peut compenser cette faute morale par une petite amende.

France, Paris, 2023-08-23. Salle d attente vide dans une clinique privée parisienne. Consultations spécialisées. Soins externes. (Laure Boyer)

France, Paris, 2023-08-23. Salle d attente vide dans une clinique privée parisienne. Consultations spécialisées. Soins externes. (Laure Boyer/Hans Lucas.AFP)

La «taxe lapin» proposée par Gabriel Attal peut-elle être efficace pour lutter contre les rendez-vous non honorés ?

Sur la base des travaux sociologiques existants, on a toutes les raisons de penser que la «taxe lapin» soit contre-productive et que le nombre de rendez-vous non honorés augmente plutôt que diminue. Une étude a déjà été menée sur une mesure similaire de lutte contre le retard des parents qui récupèrent leurs enfants à la crèche. Lorsqu’une sanction financière de trois dollars [expérimentation dans une crèche d’Haïfa, ndlr] a été mise en place pour éviter au personnel d’attendre des heures chaque soir, le nombre de retards a paradoxalement augmenté.

Comment expliquer que la dissuasion monétaire ne fonctionne pas ?

Dans le cas de la crèche, l’interprétation qu’on a trouvée, c’est le changement de nature de la décision que les parents prennent pour faire en sorte ou non d’arriver à l’heure à la crèche. Quand il n’y a pas de pénalité, c’est une décision qui relève d’un arbitrage moral : on n’a pas envie de se sentir mal vis-à-vis du personnel de la crèche et on a envie d’être perçu comme quelqu’un de ponctuel et fiable.

La difficulté de l’imposition d’une pénalité, c’est qu’on transforme cette relation sociale, dans laquelle on met une part de soi-même, en une relation marchande. On passe à un arbitrage coût /bénéfice. Si une personne a une urgence au travail, vaut-il mieux qu’elle arrive en retard à la crèche ? Qu’elle loupe son rendez-vous médical pour quelques euros ? La réponse est souvent non, même pour des personnes qui auraient probablement fait en sorte de bien se comporter vis-à-vis du personnel de la crèche ou du médecin.

Quelles conséquences peut-on y voir pour la relation médecin patient ?

Si on a raison de penser que le nombre de rendez-vous non honorés va augmenter, la relation avec les médecins va se dégrader. La taxe risque de créer une incompréhension : les patients n’auront plus de raison de voir où est le mal en ratant un rendez-vous, puisqu’ils auront payé. Et les médecins à qui la situation continuera de poser les mêmes soucis d’organisation auront des reproches à faire à leurs patients qui seront moins à même de les comprendre.

Quelles autres solutions sont imaginées pour lutter contre les rendez-vous manqués ?

Malheureusement, on manque de bases scientifiques pour se prononcer sur le sujet. C’est ce que je trouve dommage dans cette séquence politique : il aurait été intéressant de prendre le temps de la réflexion et de l’expérimentation pour imaginer de nouvelles solutions.

De mon point de vue, le problème c’est qu’on a tort de penser que les sanctions monétaires sont efficaces sur le plan moral alors que le système actuel tient justement sur la sanction sociale. La seule raison pour laquelle on ne prend pas dix rendez-vous chez le médecin pour n’en honorer qu’un seul, c’est qu’on craint d’être perçu comme quelqu’un qui se comporte mal. Une solution efficace serait de marquer encore plus fortement la dissuasion sociale et de jouer sur l’impact en termes de réputation et de scrupules. On pourrait imaginer un score individuel qui permette au médecin de savoir combien de fois un patient a annulé ses rendez-vous sans préavis – ou qui désactiverait son accès à Doctolib par exemple.


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