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vendredi 12 avril 2024

Fin de vie : ce que permettra ou non la loi française, par rapport aux situations les plus observées à l’étranger

Par    Publié le 10 avril 2024 

« Le Monde » a recensé les pathologies les plus fréquentes qui ont conduit à des euthanasies en Belgique et aux Pays-Bas et a imaginé le sort de mêmes patients en France si le projet de loi, qui est présenté en conseil des ministres mercredi, était voté.

Le projet de loi sur l’« aide à mourir », dont les grandes lignes ont été dévoilées par Emmanuel Macron en mars, sera présenté en conseil des ministres mercredi 10 avril et arrivera en première lecture à l’Assemblée nationale le 27 mai. D’après le texte, transmis au Conseil d’Etat, l’aide à mourir pourra strictement bénéficier aux personnes remplissant simultanément ces cinq conditions :

  • avoir au moins 18 ans ;
  • être de nationalité française ou résider en France ;
  • être capable de manifester sa volonté « de façon libre et éclairée » ;
  • avoir déclaré une maladie grave et incurable engageant son pronostic vital à court terme ou à moyen terme ;
  • présenter une souffrance physique ou psychologique « réfractaire ou insupportable ».

Le patient devra formuler sa demande auprès d’un médecin qui, après avoir recueilli l’avis d’un spécialiste et d’un soignant du demandeur, rendra sa décision dans un délai de quinze jours. Le texte prévoit que le patient s’administre lui-même la substance létale lorsqu’il en est capable ou, à défaut, qu’il le demande à une personne de son choix. Le médecin ou l’infirmier présent, chargé de vérifier la volonté du patient, pourra aussi accomplir cette tâche.

Quels sont les enjeux spécifiques du projet de loi français ?

Deux questions importantes se posent à partir des conditions prévues par ce projet de loi : comment définir l’échéance du pronostic vital à moyen terme, et qu’en est-il des directives anticipées, non prises en compte ?

La définition de l’engagement du pronostic vital à moyen terme est centrale pour dessiner avec précision les contours de ce dispositif. Selon que l’échéance est posée à quelques semaines ou à plusieurs mois, les pathologies ouvrant le droit à l’aide à mourir ne sont pas les mêmes.

Mélanie Heard, responsable du pôle santé à Terra Nova, et Martine Lombard, professeure émérite de droit, s’inquiétaient dans une tribune au Monde que l’ambiguïté de la formulation ne vide « la future loi sur la fin de vie d’une grande partie de sa portée pratique », en laissant la responsabilité de l’interprétation aux médecins, qui seront probablement très prudents. D’autres, comme l’Association pour le droit de mourir dans la dignité (ADMD), dénoncent cette notion, qui « condamne les patients atteints, par exemple, de la maladie de Charcot, à éprouver les drames des derniers stades d’évolution de la maladie », dont l’évolution est lente mais inéluctable. Des professionnels militent aussi pour une évolution de la loi : « Pour que ceux qui ne veulent pas subir une déchéance physique ou psychique puissent avoir un accompagnement vers la mort », argumentait à la fin de 2023 dans Le Monde la neurologue Valérie Mesnage.

Autre question non résolue, celle des directives anticipées. La loi Leonetti de 2005 permet à chaque personne majeure d’exprimer ses volontés sur « sa fin de vie en ce qui concerne les conditions de la poursuite, de la limitation, de l’arrêt ou du refus de traitement ou d’acte médicaux ». Or, selon le projet de loi actuel, toute personne se retrouvant dans l’incapacité de formuler elle-même directement sa demande à un médecin, même si elle l’a fait dans une directive anticipée qui a pu être réaffirmée et complétée au fur et à mesure que sa maladie évoluait, ne pourra solliciter l’aide à mourir.

Comment la loi française répondrait aux cas rencontrés dans les pays qui autorisent l’euthanasie ?

Deux pays européens ont légalisé l’euthanasie depuis plus de vingt ans : les Pays-Bas en 2001 et la Belgique en 2002. Ce sont les Etats qui la pratiquent le plus : 8 720 cas ont été recensés par les Néerlandais en 2022, et 3 423 côté belge en 2023. Les autres pays sont plus petits (le Luxembourg a légalisé la pratique en 2009, mais ne recense que 34 cas en 2022) ou ont fait évoluer leur législation plus récemment, l’Espagne en 2021 (qui compte 288 cas en 2022) et le Portugal en 2023.

Le suicide assisté est dépénalisé en Autriche depuis 2022, en Allemagne depuis 2020 et en Italie depuis 2019. En Suisse, l’euthanasie active est interdite alors que le suicide assisté pleinement intégré dans la loi. Si les modalités d’accès et les procédures varient dans chaque pays, c’est l’exemple de l’Etat américain de l’Oregon qui se rapproche le plus du projet de loi français (cet Etat a recensé 367 suicides assistés en 2023).

A partir des rapports publiés aux Pays-Bas et en Belgique (pays qui comptent le plus grand nombre de patients concernés, avec des chiffres en baisse durant les dernières années), nous avons recensé les pathologies les plus fréquentes des personnes qui ont demandé à mourir. Pour chacune de ces maladies, nous avons tenté de définir si elles seraient concernées par la future loi française. Il s’agit d’une réflexion théorique, à un stade où le texte est encore loin d’être voté.

Les cancers à un stade avancé

Les tumeurs d’origine cancéreuse constituent la première source d’affections conduisant à une euthanasie. En Belgique, elles représentent plus de la moitié (55,5 %) des interruptions de vie : 1 899 cas en 2023. Aux Pays-Bas, cette proportion atteint 57,8 % des 8 720 situations recensées en 2022 (5 046 cas).

Sur la base des chiffres belges, les tumeurs malignes des organes digestifs (pancréas, côlon, œsophage et estomac), respiratoires (principalement du poumon) et du sein étaient à l’origine, à elles seules, de 60 % des cas d’interruption de vie liés à une tumeur cancéreuse.

Que permettrait le projet de loi français ?

Il sera envisageable de solliciter l’aide à mourir pour ces affections cancéreuses incurables à des stades avancés : elles remplissent les conditions du projet de loi, car elles engagent le pronostic vital des malades à court terme ou à moyen terme, et sont associées à des souffrances physiques ou psychologiques insupportables.

Les polypathologies

Elles constituent 16,4 % des cas aux Pays-Bas (1 429 cas) et 23,2 % en Belgique (793 cas).

L’accumulation de pathologies chroniques, y compris gériatriques, peut aussi être la cause de souffrances insupportables et sans perspectives d’amélioration puisqu’une partie d’entre elles sont dégénératives, liées à l’âge. L’association des troubles induits par les différentes affections est source de souffrances physiques mais aussi psychiques : perte d’autonomie, altération de la qualité de vie, déficience sensorielle, dépression…

Que permettrait le projet de loi français ?

La prise en charge de ces polypathologies par la future loi sur l’aide à mourir dépendra de la définition qui sera donnée au « moyen terme ». En Belgique, 421 personnes, sur les 793 qui présentaient des combinaisons de plusieurs affections chroniques réfractaires en 2023, étaient diagnostiquées avec une échéance prévisible de la mort dite « brève » (dans les jours, semaines ou mois qui viennent). A l’inverse, 372 personnes étaient diagnostiquées avec une échéance prévisible de la mort « non brève » ; une telle situation s’écarterait des possibilités envisagées par la législation française.

Les maladies du système nerveux

Les pathologies du système nerveux – maladie de Parkinson, de Charcot, sclérose en plaques, par exemple – sont le troisième grand type d’affections pour lesquelles les malades ont le plus recours à l’euthanasie : 9,6 % en Belgique et 7 % aux Pays-Bas.

Ces maladies neurodégénératives entraînent des perturbations motrices et cognitives pour lesquelles toute guérison est exclue. Les traitements permettent de ralentir la progression de ces maladies, d’en diminuer les symptômes et d’améliorer la qualité de vie, mais à plus ou moins long terme les troubles peuvent progresser et évoluer vers des handicaps irréversibles.

Que permettrait le projet de loi français ?

Pour de telles maladies, la condition de l’engagement du pronostic vital « à court ou moyen terme » risque d’écarter la possibilité pour le malade de recourir à cette aide au stade où les souffrances deviennent insupportables, ses jours étant généralement encore loin d’être comptés.

Les maladies de l’appareil circulatoire

Elles représentent 3,2 % des pathologies à l’origine des aides à mourir réalisées en Belgique, et 4,1 % de celles réalisées aux Pays-Bas.

Les maladies des appareils circulatoires sont principalement liées aux séquelles d’un accident vasculaire cérébral (AVC), qui peuvent provoquer une perte d’autonomie brutale et sévère et une dépendance complète. Les principales séquelles sont une hémiplégie, faible à prononcée, des troubles de la parole, des troubles sensitifs et des douleurs…

Que permettrait le projet de loi français ?

Les demandes de fin de vie de ces malades seront en grande partie écartées de l’actuel projet de loi, en particulier dans les cas pour lesquels le pronostic vital n’est engagé ni à court ni à moyen terme.

Les maladies de l’appareil respiratoire

Ces maladies ont poussé 3 % des patients en Belgique, et 3,2 % aux Pays-Bas, à faire une demande d’aide à mourir.

La fibrose pulmonaire est l’une des principales maladies respiratoires chroniques des personnes euthanasiées. Elle est incurable et évolutive, les traitements ne permettent que d’en ralentir le développement.

Que permettrait le projet de loi français ?

Le caractère évolutif de la maladie, qui implique une dégradation de l’état des malades plus ou moins rapide, permet d’envisager un recours à l’aide à mourir dans les conditions prévues par le projet de loi, lorsque le pronostic vital peut être engagé à « moyen terme » – et selon l’interprétation qui sera faite de cette condition.

Les maladies neurodégénératives

Les situations de démence représentent 1,2 % des cas en Belgique et 2,5 % de ceux aux Pays-Bas.

Ces maladies neurodégénératives, de type Alzheimer par exemple, se caractérisent par une altération croissante de la mémoire et des fonctions cognitives, ainsi que des troubles du comportement. Le processus étant irréversible, et, en l’absence de traitement curatif, la maladie conduit à une perte progressive d’autonomie.

Que permettrait le projet de loi français ?

Ces affections sortent clairement du spectre du projet de loi : il faudrait que la personne sollicitant l’aide à mourir puisse exprimer sa demande de « façon éclairée », et même dans ce cas, son pronostic vital ne serait probablement pas encore engagé à moyen terme. Même si la personne avait laissé des directives anticipées, pour demander à mourir lorsque la démence lui entraînerait des souffrances insupportables, celles-ci ne pourraient pas être prises en compte dans le cadre de la future loi.

Les législations belges et néerlandaises intègrent ces demandes, en s’appuyant sur les directives anticipées et la volonté exprimée par les malades lors de leurs moments de lucidité. Lorsque ceux-ci ne sont plus capables de s’exprimer, l’équipe médicale prend la décision avec une procédure très encadrée (ce qui est très rare, 6 cas sur 282 aux Pays-Bas).

Les maladies psychiatriques

Les troubles psychiatriques sont rares parmi les demandes d’aide à mourir : 1,3 % des cas aux Pays-Bas et 1,4 % en Belgique.

Que permettrait le projet de loi français ?

Ces maladies seront, au stade actuel, également écartées du périmètre de ce projet de loi, car elles n’engagent pas le pronostic vital des malades. L’exposé des motifs du texte, dont une version a fuité, est explicite dans sa formulation : « ce qui exclut les souffrances exclusivement liées à des troubles psychiques ou psychologiques ».

En marge de ces pathologies les plus fréquentes couvertes par la législation de nos voisins européens, d’autres cas emblématiques ont alimenté le débat public autour de l’euthanasie en France. Ainsi, le jeune Vincent Humbert, tétraplégique, aveugle et muet après un accident de la route, qui avait demandé le droit à mourir au président Chirac en 2002, ne trouverait pas de réponse dans le futur texte de loi.


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