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dimanche 7 avril 2024

Roman «L’Origine des larmes» de Jean-Paul Dubois : eau, rage et désespoir

par Virginie Bloch-Lainé   publié le 30 mars 2024

Un héros accusé de parricide post-mortem dans le nouveau roman du prix Goncourt 2019.

La haine va de pair avec l’amour, dit la psychanalyse. Elle est son miroir inversé. Paul Sorensen, 51 ans, hait son père mais sa détestation est vierge d’amour. La psychanalyse explique également que la haine est tout sauf de l’indifférence et que c’est déjà cela, un intérêt bon à prendre, même s’il part d’un mauvais sentiment. C’est vrai, Paul Sorensen est obsessionnel, tout sauf indifférent. L’objet de sa colère ne quitte pas ses pensées. Cinq ans après le beau roman qui lui a valu le prix GoncourtTous les hommes n’habitent pas le monde de la même façon (L’Olivier, 2019), Jean-Paul Dubois publie un réquisitoire contre un géniteur odieux.

Sa vie, celle de son père et celle de sa mère, Paul Sorensen les raconte à un psychiatre chez lequel il est envoyé par la justice. Car après avoir identifié son père à la morgue, Paul a profité du fait qu’il était seul face au cadavre pour lui tirer des balles dans le crâne. Accusé de parricide post-mortem, Paul est condamné à une obligation de soins. Elle consiste à se rendre chez ce psychiatre désigné par le tribunal et à répondre à ses questions. Le médecin, qui porte le nom de Guzman, est atteint d’une maladie chronique à cause de laquelle il pleure constamment.

L’eau est omniprésente dans l’Origine des larmes : l’histoire se déroule en 2031 alors qu’une «aberration météorologique» s’est abattue sur la Terre. Il pleut des cordes, en particulier sur Toulouse où habite le héros, comme souvent les personnages de Dubois et comme Dubois lui-même. «La Garonne n’a plus de berges, plus de marges. L’eau les a envahies depuis longtemps.» Pourquoi tant d’eau ? Pourquoi tant de haine ?

Un accident d’avion

Paul Sorensen est un homme contemporain, c’est-à-dire un individu terriblement seul : «Je n’ai pas eu de relation charnelle depuis une trentaine d’années, et pas davantage de lien sentimental.» Directeur d’une société qui fabrique des housses mortuaires, il ne discute qu’avec une intelligence artificielle qui s’appelle «U. NO.» A Gruzman, Paul raconte qu’en plus d’être le fils d’un père «tyrannique», il est orphelin de mère : elle est morte à sa naissance, en même temps que le frère jumeau de Paul, pendant l’accouchement. Heureusement, une mère de remplacement a fait du bon travail, mais elle est morte, elle aussi.

Jean-Paul Dubois dresse le portrait d’un héros sombre : «Il est quand même à noter, au-delà de l’aspect symbolique et maladroitement mythologique de cette histoire, que j’aurai passé toute ma vie professionnelle à travailler pour la mort et donc à être nourri par elle.» Eprouver de la tristesse envers Paul, qui se considère comme «une sorte de concessionnaire de la mort», ce n’est pas évident. Le livre emmène le lecteur en Scandinavie puisque Paul a eu un grand-père maternel suédois prestigieux, secrétaire général des Nations Unies. Il obtint le prix Nobel pour avoir «fait cesser les guerres et les violences dans le monde.» Il est mort en 1961 lors d’un voyage en avion. La carlingue a explosé, abattue par un missile au-dessus de la Rhodésie du Nord. Jean-Paul Dubois est un maître conteur mais il y a dans l’Origine des larmes «trop de morts réveillés, trop de mères, de frère et de père indigne. Trop de tout ça.»

Jean-Paul Dubois, l’Origine des larmes, L’Olivier, 256 pp.

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