Publié le 21/12/2023
Après 1978, date de la parution de l'ouvrage de DA Moneret-Vautrin et B Aubert "Le risque de sensibilisation aux colorants alimentaires et pharmaceutiques" (1) les allergologues, obnubilés par les aliments et les objets colorés ont activement recherché des allergies et/ou des intolérances aux colorants et aux additifs alimentaires. L'expérience professionnelle nous fait penser qu'il y eut beaucoup d'excès de diagnostics ! C'est ce que montre cette observation personnelle, vue en 1978-1979 qui nous a probablement privé d'un diagnostic rare pour l'époque !
Julien et la tartrazine
L’enfant Julien B. manipule un objet de couleur jaune et développe un important œdème du visage et des lèvres, un syndrome d'allergie orale (SAO), sans autre symptôme (ni stridor, ni bronchospasme). Bien que la possibilité de SAO aggravé n'ait donné lieu que beaucoup plus tard à une publication (2), la possibilité d'aggravation était connue depuis la parution des articles princeps d'Amlot et Lessof qui évaluaient autour de 10 % la fréquence de l'anaphylaxie au cours du SAO (3, 4).
Tout ce qui est de couleur jaune étant alors considéré comme un colorant alimentaire ou pharmaceutique, l'un des plus célèbres, le colorant azoïque jaune dénommé tartrazine (E102), a alors été suspecté. Un test de dégranulation des basophiles (TDBH)* (5,6) fut effectué et revint moyennement positif. La prescription fut alors de réaliser une éviction stricte de la tartrazine. Il faut souligner que les publications sur ce colorant se multipliaient alors.
Moins d'un an plus tard cet enfant fut revu pour des symptômes analogues après avoir soufflé dans un ballon en latex jaune. Vous avez évidemment fait le diagnostic... Cet enfant a été un moment perdu de vue, mais à cette époque l'allergie au latex était peu commune.
Une brève histoire de l’allergie au latex
L'article de Pouillard et Leynadier (7) consacré à l'historique de l'allergie au latex nous révèle que le premier cas d'allergie au latex a été rapporté en 1926 par G. Stern (8)** et non par AF Nutter (9) en 1979.
La requête "latex allergy" sur PubMed indique de rares publications à partir de 1946, 10 articles en 1989, puis une fulgurante ascension pour atteindre un pic de 239 articles en 1998. Par la suite, la fréquence de l'allergie au latex a baissé en raison des mesures préventives (éviction) et de l'utilisation d'autres types de matériaux dans la composition des gants (hypoallergéniques, en matériaux synthétiques) (10).
Finalement, ce patient a été revu vers 1985 et le diagnostic a été posé de façon conventionnelle : tests cutanés et dosage des IgE sériques spécifiques positifs comme dans l’exemple montré à la Figure 1.
Figure 1 : Prick tests (PT) très positifs au latex (induration entourée d'un érythème avec pseudopodes). En haut : forte réaction pour l'extrait commercial de latex Stallergènes (LATEX). Au-dessous réaction positive pour le PT effectué à travers un morceau de gant (LATEX/GANT). (Collection Guy Dutau©).
L'histoire de la médecine et l'expérience professionnelle montrent amplement que la description ou l'apparition de "maladies nouvelles" peuvent s'accompagner d'un excès de diagnostic. C'est ce que nous constatons actuellement pour de nombreuses affections. Ce fut le cas pour les colorants et les additifs comme le soulignaient Lemoine et Tounian dans l'article "Allergie aux colorants alimentaires : une pathologie à évoquer avec parcimonie" (11).
*Le TDBH a été mis au point par Jacques Benveniste (1935-2004) autour de 1981, médecin et chercheur en immunologie qui dirigea diverses unités de recherche à l'INSERM. Découvreur du PAF (Platelet Activating Factor), il a mis au point le TDBH. En 1988 ses travaux sur "la mémoire de l'eau" déclenchent de vives réactions dans la communauté scientifique.
** La traduction française du titre de l'article de G. Stern est : Hypersensibilité au caoutchouc comme cause d'uricaire et d'œdème de Quincke.
Pr Guy Dutau
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