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lundi 11 décembre 2023

Stress post-traumatique : l’armée y met du chien

par Virginie Ballet   publié le 7 décembre 2023

Depuis trois ans, un programme d’aide aux blessés permet aux militaires traumatisés d’adopter un compagnon canin en refuge, afin que chacun aide l’autre à surmonter son passé.

Dans les allées ombragées du bois de Vincennes, le long du lac Daumesnil, retentit un aboiement qui fissure la quiétude de cette fin de matinée automnale. Darky, un croisé dogue argentin-labrador de 6 ans, compte bien manifester son mécontentement à un congénère croisé lors de sa balade quotidienne. «Il y a encore deux ans, une situation comme celle-là aurait pu me miner. J’aurais gardé en moi des émotions négatives. Aujourd’hui, j’ai appris à les gérer», analyse posément Loïc, le maître du colosse au pelage caramel, en le calmant. Deux ans qu’ils vivent ensemble, et clairement ces deux-là ont appris à se comprendre. «Darky a appris à me lire bien avant que moi je ne le lise», corrige le quadragénaire en souriant. La preuve ? En cas de sommeil agité, Darky pose sa tête sur son maître, pour l’apaiser. «Et si je pète un fusible, il me fait une léchouille. Ça me ramène au moment présent», poursuit-il.

«La réciprocité est centrale, à l’inverse du système de chien d’assistance»

Ancien infirmier au sein du service de santé des armées, âgé de 40 ans, Loïc a pris part au programme Arion, lancé en 2020 par la Cellule d’aide aux blessés de l’armée de terre (Cabat). Au total, une quinzaine de personnes en ont déjà bénéficié. Rentré d’Afghanistan en 2011, Loïc a senti «le trouble s’installer insidieusement» chez lui, rongeant d’abord son sommeil, hanté par «le bruit des avions et des roquettes», l’isolant petit à petit, le poussant à se noyer dans le travail, pour «fuir». Jusqu’à essayer d’en finir, ce qui l’a obligé à «sortir du déni»pour finalement accepter de se soigner. C’est dans le cadre de son suivi qu’il a entendu parler de cette initiative canine singulière. L’objectif est de créer un tandem entre un militaire et un chien de refuge, pour que chacun aide l’autre à surpasser son passé traumatique. «La réciprocité est centrale, à la différence du système de chien d’assistance. Il s’agit là de créer une alchimie entre le soldat et un chien, en vue d’une adoption», pose le colonel Armel Jorrot, chef de la Cabat, destinée à ceux dont la blessure – physique ou psychique – nécessite plus de six mois de suivi. Bien sûr, les chiens ne sont pas une solution unique ou miraculeuse, mais ils viennent se nicher dans un parcours de reconstruction plus large, reposant sur le sport, la réhabilitation psycho-sociale et la réinsertion professionnelle.

Inspirée par des expériences menées en Allemagne et aux Etats-Unis, l’armée française a usé d’une «convergence de bonnes volontés», venues du 132e régiment d’infanterie cynotechnique basé à Suippes (Marne), de l’université Sorbonne-Paris-Nord et de la Société carcassonnaise de protection animale. Le soigneur et comportementaliste Vincent Roucoules a participé au lancement du programme. Lui-même ancien militaire, il estime être «passé sous les radars», quand le stress post-traumatique était encore largement tu : «Ce sont mes deux chiens qui m’ont aidé : ce n’était pas un déclic, mais ils étaient là, alors il a bien fallu continuer à avancer», se souvient-il. Fort de son expérience personnelle, Vincent Roucoules tenait à impliquer des chiens de refuge, ayant généralement vécu un abandon, «souvent dépeints comme agressifs ou méchants», comme une manière de «redorer leur blason». Construit sur plusieurs semaines, le programme Arion permet à des soldats volontaires de venir se familiariser petit à petit au refuge avec des animaux sélectionnés spécifiquement. «Ces chiens connaissent le milieu humain et ses désavantages. Beaucoup sont déjà allés de famille en famille. Ce vécu leur permet d’observer leur humain, et de réagir en fonction de lui, ce qui est essentiel s’agissant de soldats en stress post-traumatique, souvent perdus dans le temps ou dans leur identité», décrit l’adjudant-chef Frédéric, réserviste et médiateur canin, qui résume : «On attend du chien qu’il accompagne et apaise la blessure, un peu comme un aide-soignant. Sa présence va aussi aider le blessé à se sociabiliser de nouveau.»

Réfléchir à ses propres besoins, en miroir

A l’issue de plusieurs semaines à faire connaissance progressivement, et si l’alchimie opère, les participants peuvent officialiser l’adoption. «Dans un contexte social marqué par les abandons, ce programme a du sens pour les blessés, les chiens, et la société au sens large», appuie Christophe Blanchard, sociologue, spécialiste en médiation animale, et référent scientifique. Pendant un an, le nouveau tandem reçoit la visite régulière d’un médiateur canin à domicile, chargé de s’assurer que tout se passe bien. «Rien que ça, ça oblige à faire en sorte que l’appartement soit propre. Et pour ça, il faut remettre le pied à l’étrier», glisse Loïc. La présence du chien l’a obligé à revoir son rythme, ou plutôt ses «habitudes de survie, bien ancrées».

L’arrivée de Darky dans la vie de cet amoureux des animaux ressemble à un signe du destin : hospitalisé, Loïc découvre l’histoire de ce «molosse» sur le point d’être euthanasié sur les réseaux sociaux, et décide de l’adopter, faisant un léger détour par rapport au circuit normalement pensé par l’armée. Grâce à l’expertise des médiateurs canins du programme, Loïc apprend à «comprendre les limites de Darky, son passé, ses besoins». Et réfléchir aux siens, en miroir. Son compagnon, «tonique, toujours en mouvement», l’a forcé à sortir de sa torpeur, à rythmer ses journées, à aller vers les autres, puisque lui le fait sans cesse. «C’est son superpouvoir», sourit Loïc. Avec lui, le quadragénaire dit avoir compris qu’il était en vie. «Qu’il fallait continuer». Lui qui avait jusqu’alors du mal à se projeter d’une semaine à l’autre voit désormais un avenir qui lui fait envie, pour lequel il s’est formé. Au terme de son arrêt maladie, Loïc veut se reconvertir dans la médiation animale.


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