par Chloé Pilorget-Rezzouk publié le 11 décembre 2023
A peine lancée, la toute nouvelle commission scientifique sur la parentalité, initiée par la ministre des Solidarités et des Familles, Aurore Bergé, connaît des turbulences. Plusieurs chercheurs ont démissionné, ce lundi 11 décembre, pour dénoncer les mesures punitives de l’exécutif en réponse aux violences urbaines nées après la mort de Nahel, 17 ans, tué par un policier à la suite d’un refus d’obtempérer. Face à «une autorité parentale qui se délite», Aurore Bergé a annoncé, dans la Tribune Dimanche, des travaux d’intérêt général pour «les parents défaillants» ou encore «le paiement d’une contribution financière pour les parents d’enfants coupables de dégradations». Juge des enfants au tribunal judiciaire de Saint-Etienne et présidente de l’Association française des magistrats de la jeunesse et de la famille, Alice Grunenwald répond à Libération.
Qu’est-ce qui vous a motivée à participer à cette commission ?
Depuis trente ou quarante ans, ce qu’on attend d’un parent a énormément évolué. Il ne s’agit plus seulement de satisfaire les besoins primaires de l’enfant, mais aussi de le stimuler, de l’écouter, de respecter ses droits tout en posant des limites, etc. La feuille de route était de réfléchir au besoin de soutien massif des parents et de proposer des pistes. C’est donc une grosse difficulté, pour nous, d’avoir relié ces annonces répressives à une commission qui se situe vraiment dans la recherche du soutien à la parentalité. La question de la responsabilité parentale était posée, mais elle n’était pas première.
Que pensez-vous de ces mesures ?
Ce sont des effets d’annonce… Pour la plupart, notre arsenal législatif permet déjà de telles sanctions. Il est ainsi possible de condamner un parent dont il est prouvé qu’il est défaillant à des travaux d’intérêt général. Le stage de responsabilité parentale, qui a vocation à rappeler ce qu’implique l’éducation d’un enfant, existe depuis 2007, même s’il est très peu mis en place.
Quant au principe d’une contribution financière des parents pour des faits commis par leurs enfants, j’émets les plus grandes réserves. Quel en serait le fondement juridique ? Les parents sont civilement responsables, pas pénalement. Les envoyer devant le tribunal doit être réservé à des situations minoritaires. En revanche, leur besoin de soutien n’est pas minoritaire…
De manière plus générale, que dire de la volonté gouvernementale de pénaliser les parents après les violences urbaines ?
Pour nous, ce n’est pas un sujet de parents défaillants. La plupart des parents des mineurs condamnés ne l’étaient pas. On en a vu d’autres se mobiliser pour aller chercher leurs enfants. Quant à la réponse pénale par rapport aux mineurs, elle a été claire : ils ont été rapidement, et plutôt lourdement, sanctionnés. Mais ce n’est pas ce qui évitera la récidive. N’oublions pas qu’une multiplicité de facteurs en sont à l’origine, parmi lesquels un problème ancien et important de relations police-population. Dans les tribunaux pour enfants, on sent depuis longtemps cette réelle crispation avec, d’un côté, des jeunes animés d’un fort sentiment de colère, qui considèrent ne pas être traités correctement et, de l’autre, des policiers qui ont le sentiment d’être malmenés, confrontés à des situations de stress ou d’impossibilité à intervenir dans certains quartiers.
Que constatez-vous dans votre quotidien de juge des enfants ?
On a surtout affaire à des parents démunis. Nous traversons quand même une crise du logement majeure et une dégradation des conditions de vie matérielles liée à l’inflation. Un parent fragilisé face à un adolescent, qui ne va pas forcément très bien non plus, peut se retrouver extrêmement démuni. Les parents sont actuellement soumis à beaucoup d’injonctions. Certains ne savent plus comment poser, ni exercer leur autorité… Enfermer son adolescent dans sa chambre pour éviter qu’il ne sorte, est-ce autorisé ou interdit ?
Pendant les émeutes, certains sur les réseaux sociaux ont applaudi un père pour avoir récupéré son fils dans la rue avant de le mettre dans le coffre de sa voiture, d’autres ont été choqués… Et de nombreux phénomènes pèsent chez les adolescents, comme l’attirance du groupe, les réseaux sociaux, etc. Comment poser des limites à son enfant, sans violence ? Ce n’est pas si simple, surtout quand on est seul.
D’après la chancellerie, 60% des mineurs présentés à la justice après les émeutes étaient justement issus d’une famille monoparentale…
Dans nos tribunaux, nous n’avons pas que des familles monoparentales. Un parent, quand il rencontre l’aide appropriée, qu’il se sent compris, qu’on vient l’aider et restaurer son pouvoir d’agir, il va beaucoup mieux. Mais certaines familles cachent leurs difficultés et refusent parfois d’être aidées parce qu’elles se sentent stigmatisées. C’est ce qui m’inquiète aujourd’hui quand la première réponse du gouvernement est de pointer les défaillances parentales. Punir les parents va-t-il calmer la colère des enfants ? C’est une réponse contre-productive que de leur renvoyer l’image qu’ils sont les enfants de mauvais parents. On peut dire à un parent qu’il a fauté, mais il faut aussi pouvoir lui donner des clés. Quand on a une casserole qui bout, si on n’éteint pas le feu et qu’on se contente de mettre un couvercle, l’eau va continuer à bouillir. La vraie question, c’est : comment on baisse le feu ?
Comment mieux les accompagner ?
En insufflant du collectif, par exemple : cela se fait déjà dans certains quartiers où des parents se regroupent pour agir ensemble. Il y a une crise de légitimité de l’autorité. On parle de la restaurer, mais par la contrainte. Or si l’autorité n’est pas considérée comme légitime, elle ne sera pas respectée.
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