par Anastasia Vécrin publié le 8 décembre 2023
Baptiste Beaulieu affûte ses tirades entre deux consultations. Médecin généraliste et auteur de best-sellers pour adultes (son dernier roman Où vont les larmes quand elles sèchent vient de paraître chez L’Iconoclaste) comme pour enfants (Les gens sont beaux, On a deux yeux pour voir chez les Arènes), chroniqueur à France Inter, il est suivi sur Instagram par 330 000 personnes. Sur ce compte, le médecin influenceur raconte avec humour et ferveur ses patients, ses livres et depuis peu les biberons d’Optimus Beyoncé Jesus, modeste pseudonyme qu’il a choisi pour l’enfant qu’il vient d’avoir avec son compagnon. Il y dénonce aussi le sexisme dans le milieu médical, l’homophobie persistante, se confie sur ses doutes et ses peurs en tant que père. Récemment, l’écrivain a posé une petite bombe sur Instagram mais aussi dans les foyers : «Après dix ans de médecine générale, je crois profondément que les hommes n’aiment pas les femmes», un post liké des centaines de milliers de fois, repris par des comptes féministes comme des anonymes, provoquant une multitude de témoignages de femmes venant corroborer l’affirmation. «J’ai partagé votre post avec mon mari, deux jours d’engueulade», lui a écrit l’une d’elles. L’occasion d’une rencontre pour en savoir plus sur ses engagements féministes et sa récente parentalité.
Vous avez écrit sur les réseaux sociaux : «Les hommes n’aiment pas les femmes» avant de préciser «beaucoup d’hommes n’aiment pas leurs femmes», provoquant la colère de beaucoup d’hommes et l’adhésion de nombreuses femmes… Que vouliez-vous dire ?
En dix ans de médecine générale, j’ai vu énormément de patientes épuisées, qui se rendent malades à force de tout porter sur leurs épaules, et les choses évoluent peu. On a beaucoup parlé de «charge mentale» mais, c’est la vérité, les femmes que je vois s’occupent de tout : de la maison, des enfants, de leur calendrier vaccinal, parfois, elles s’occupent même des traitements médicaux de leur mari. Je n’invente rien. Des féministes comme Valérie Rey-Robert, Titiou Lecoq ou Sophie Adriansen, qui a écrit Qui s’occupe des enfants ? Repenser la parentalité traditionnelle, le martèlent depuis des années dans des essais. Alors, oui, il y a un biais, évidemment, aucune femme ne va jamais venir au cabinet médical pour me dire «écoutez, moi, je vais super bien, mon mari est génial, on fait l’amour deux fois par semaine, il me respecte, il fait sa part des tâches ménagères et je vais vous donner vingt-cinq euros pour vous avoir dit ça».
Je ne veux pas verser dans l’essentialisation mais j’ai quand même vu un schéma commun se dessiner, il y a donc un problème plus global. Et les études le montrent. Par exemple, celle de la revue Cancer qui établit qu’une femme a six fois plus de risques d’être quittée quand elle tombe malade qu’un homme. On sait aussi, grâce à la Haute Autorité de santé (HAS), que la plupart des aidants sont des aidantes. Je ne vois pas comment des hommes peuvent continuer d’ignorer la charge que porte leur femme. Donc il me semble que ceux qui l’ignorent n’aiment pas leur femme. Ils aiment le sexe gratuit qu’une vie à deux procure et avoir quelqu’un qui gère les tâches domestiques et les enfants.
Vous croyez que beaucoup d’hommes désignent comme «amour» une relation uniquement parce qu’elle leur profite ?
Je crois, comme bell hooks l’explique Dans à propos d’amour, que l’amour est plus un acte qu’un sentiment, une constellation de comportements quotidiens, parfois invisibles, parfois même pas sus par la conjointe ou le conjoint. Un soin, une attention qu’on porte à l’autre. Et, finalement, pour les hommes dont je parle, est-ce que ce qu’ils appellent «amour» n’est pas juste le nom qu’ils donnent à cette «situation» qui est bien confortable pour eux et qui l’est moins pour la femme ? Ce qui est certain, c’est qu’ils n’ont pas intérêt à ce que cela change, c’est pourquoi les choses ne bougent pas !
Avez-vous reçu des réactions positives de certains hommes ?
Quasiment pas. Ce qui me désole, c’est que la plupart cherchent d’abord à se disculper d’être ces hommes-là en expliquant : «Moi, je ne suis pas comme ça !» Cela ne fait pas avancer le débat, et n’aide en rien les femmes qui sont dans cette situation. Quand je souligne l’égoïsme de beaucoup d’hommes, leur premier mouvement est de ramener le sujet à eux, en occultant l’enjeu politique du problème. Toute l’énergie que ces hommes mettent à se disculper, ils feraient bien de la mettre à faire évoluer les statistiques. Comme je l’ai dit, le problème, ce n’est pas eux qui font leur part, mais le fait qu’ils refusent de lever les yeux de leur nombril pour regarder autour d’eux. Et admettre que la majorité de leurs congénères ne font pas leur part.
Vous, comment êtes-vous devenu féministe ?
Mon engagement sur les réseaux sociaux pour les femmes vient surtout de mon expérience de généraliste. Je mets au défi n’importe quel homme de voir ce que je vois tous les jours et de ne pas se sentir violemment ébranlé par la somme de privilèges qui sont les nôtres parce qu’on est né avec des testicules et un pénis. On va me dire que mon cabinet est un filtre, mais je constate simplement qu’il y a plus de femmes que d’hommes qui viennent me voir. Après, je considère qu’en tant qu’homme, je n’ai pas à me désigner comme féministe. Mais je sais que ma condition d’homme gay est profondément interdépendante de la condition des femmes parce que l’homophobie est un des visages du sexisme.
Plus les femmes seront libres dans notre société, plus les minorités sexuelles auront de liberté. Quand je me suis fait casser la gueule dans la rue, j’ai pris conscience que le gars qui me tapait, ce n’était pas moi qu’il tapait, il visait le trouble dans l’ordre sexuel que j’incarne en tant que gay. Le combat féministe me concerne en tant que personne homosexuelle, puisque ma liberté est étalonnée à celle des femmes. Il y a dix ans, j’étais comme ces hommes qui m’écrivent pour me dire «pas tous les hommes», j’étais un privilégié, simplement, ce métier m’a mis du plomb dans la tête.
Pensez-vous que l’empathie, la bienveillance, ça s’apprend ?
Bien sûr, et dès le plus jeune âge ! On doit apprendre aux enfants à se mettre à la place de l’autre, et c’est ce que j’essaie de faire dans mes albums jeunesse. Quand un parent prend la décision de lire un livre à un enfant, c’est énorme parce que le parent est une figure d’autorité qui aux yeux de sa progéniture détient la vérité. Ce qui va se dire là peut avoir beaucoup d’impact. Je crois vraiment qu’on peut changer le monde avec des histoires pour enfants.
Dans Les gens sont beaux, je parle de la pluralité des corps, de pourquoi il ne faut pas se moquer du physique des autres parce que derrière chaque différence, il y a des histoires. Il a été vendu à 100 000 exemplaires, et j’espère qu’il aide les enfants qui l’ont lu à entrer en empathie avec le corps des autres, la différence des autres. Réformer les adultes avec un livre, c’est compliqué mais les enfants ne demandent que ça d’apprendre, d’évoluer !
Vous êtes devenu papa il y a peu, qu’est-ce que ça change ?
C’est un immense bonheur après cinq ans d’attente. Il y a la fatigue, d’abord. Et puis, la peur pour tout, tout le temps. Et cette immense responsabilité. Mais j’ai la chance de vivre avec quelqu’un de formidable, et son niveau d’anxiété diminue à mesure que le mien augmente, heureusement. L’arrivée d’un enfant, ça réveille, cela nous rappelle une petite vérité toute simple qu’on a tendance à oublier, que la vie, c’est aussi prendre soin d’un plus petit, plus fragile que soi, et qu’elle vaut le coup aussi pour ça.
Vous avez été harcelé sur les réseaux sociaux quand vous avez annoncé l’arrivée de votre enfant. L’homophobie est-elle plus forte quand les enfants entrent en jeu ?
Oui, c’est pour ça qu’il est nécessaire de parler de ce qu’on vit, de rendre visible nos familles. J’ai subi un harcèlement terrible à l’annonce de la venue de mon enfant, car on m’a accusé d’avoir loué le ventre d’une femme. A cause de cela, c’est une histoire que je me refuse de raconter pour le moment. Je ne veux pas me justifier, j’aurais l’impression de cracher sur les familles homoparentales qui n’ont pas forcément eu le même parcours que nous. Après, avec nos familles et amis, ceux qui nous aiment, et veulent notre bien, évidemment les choses se passent bien.
Qu’est-ce qui change dans la parentalité gay ?
La différence pour nous, c’est qu’on n’a pas de femme dans l’équation et pas de modèle, on apprend tout par nous-mêmes. Donc on se lève tous les jours, et on se demande comment on fait, qui porte quoi sur ces épaules. Si deux hommes peuvent arriver à s’occuper d’un enfant, c’est qu’un homme en couple avec une femme peut très bien y arriver aussi, et aussi bien que sa femme. On invente quelque chose, évidemment qui n’est pas parfait, une parentalité qui n’est pas soumise aux normes hétérosexuelles. On est des hommes et on y arrive bien. Donc, tous les hommes peuvent y arriver.
Vous racontez que vous vous réjouissez parfois d’aller travailler depuis que vous avez un enfant, et que le père de famille qui va travailler pour subvenir aux besoins de sa famille est un gros mensonge…
C’est ce que raconte l’autrice Rose Lamy dans son livre sur la figure du bon père de famille. On a fait passer pour un sacrifice ce qui peut-être chez beaucoup d’hommes leur permet d’échapper à la partie la moins réjouissante du quotidien, s’occuper de la maison, des impératifs domestiques aliénants. On va au travail pas seulement pour avoir de l’argent mais aussi pour parler à des adultes toute la journée, avoir une activité gratifiante socialement, une forme de liberté. Mon compagnon et moi avons des professions libérales, et donc une assistante maternelle que nous payons pour s’occuper de notre enfant. Cette femme, elle a un salaire, elle aura droit à une retraite. Les femmes au foyer qui font cela gratuitement pour permettre à leur époux de travailler n’auront rien, cela me paraît injuste.
Quel père aimeriez-vous être ?
Moins stressé ! On aimerait tous être la meilleure version de nous-même pour notre enfant. J’aimerais être un peu moins en colère, mon métier me pousse à ressentir un fort sentiment d’injustice et de cela, il découle évidemment une colère qui grandit jour après jour. J’aimerais arriver à m’en départir car je ne voudrais pas que mon enfant prenne cette colère sur lui ou qu’il la fasse sienne. Avec mon compagnon, notre vision de l’éducation est assez simple : empêcher notre enfant de se faire du mal et l’empêcher de faire du mal aux autres. En dehors de ça, il aura toute la liberté qu’il veut. C’est une base simple. Mais c’est facile à dire, il a 3 mois !
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