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vendredi 15 décembre 2023

Le dispositif La Touline, une bouée de sauvetage pour les enfants placés, livrés à eux-mêmes à 18 ans

Par    Publié le 14 décembre 2023

Un programme des Apprentis d’Auteuil accompagne l’insertion sociale et professionnelle des jeunes sortis de l’aide sociale à l’enfance, sans ressources familiales pour les guider dans les étapes du passage à l’âge adulte.

Romain Vincent, éducateur à La Touline de Seine-et-Marne, avec une jeune femme passée par l’aide sociale à l’enfance, à Combs-la-Ville. 

Sur un parking d’Emerainville, en Seine-et-Marne, Titouan (les prénoms ont été modifiés) guette le profil désormais familier de la voiture de Romain Vincent, son éducateur. Quand le véhicule arrive enfin à sa hauteur, le jeune homme de 20 ans, cheveux noirs regroupés en chignon et sweat bleu marine, saute sur le siège passager, puis adresse un sourire encore timide à Romain, qui lui propose d’aller prendre un dessert. Une poignée de kilomètres plus tard, dans le McDonald’s de la zone industrielle voisine, l’éducateur spécialisé sort son carnet de suivi sur un coin de table, tandis que Titouan engloutit un McFlurry KitKat – sa « valeur sûre » à lui.

Toutes les deux semaines depuis un an, le travailleur social et le jeune, ancien adolescent placé à l’aide sociale à l’enfance (ASE), partagent ainsi un moment, dans le cadre du programme local de La Touline. Ce dispositif a été créé en 2016 par les Apprentis d’Auteuil pour accompagner des jeunes majeurs sortis, comme lui, de la protection de l’enfance. Leurs rencontres prennent parfois la forme d’un déjeuner ou d’une sortie culturelle. Des prétextes, en réalité, destinés à amorcer un échange à propos de la vie ordinaire, mais aussi des démarches d’insertion que Titouan met peu à peu en place depuis leurs premiers rendez-vous.

Entre deux cuillerées de crème glacée, l’éducateur s’enquiert de savoir si le jeune homme se rend toujours à ses rendez-vous avec sa psychologue, ou s’il a bien finalisé son inscription à la mission locale. Sur ce second point justement, « plus besoin », rebondit Titouan. Il annonce avec soulagement avoir décroché un emploi de maintenance, dans un hôtel « chic »de la capitale. Un pas majeur pour lui, qui avait suivi une formation de microtechnicien. Mais à sa majorité, de retour chez son père après avoir quitté l’ASE, il s’était renfermé sur lui-même. « Il s’était beaucoup isolé et se trouvait éloigné de toute forme d’insertion quand on a commencé à se voir », observe Romain Vincent.

Chaque semaine, le travailleur social parcourt le territoire de Seine-et-Marne à la rencontre de jeunes qui, après un placement, sont souvent livrés à eux-mêmes après être sortis de tout dispositif d’aide à leurs 18 ans ou 21 ans, âges couperets de la fin de l’accompagnement par l’ASE. Comme ils sont peu mobiles, c’est Romain Vincent qui vient à eux : pour partager un repas, les aider à réaliser des procédures administratives, les accompagner à des rendez-vous médicaux, à l’aéroport aussi quand il s’agit de prendre l’avion pour la première fois, ou encore pour « aller faire une simple promenade en forêt », détaille-t-il.

Rôle très concret

L’éducateur de La Touline joue ainsi un rôle d’aide très concrète dans ces étapes d’entrée dans la vie adulte, de la CAF aux premiers impôts, face auxquelles ces jeunes sont souvent seuls. Mais avant tout, insiste-t-il, l’enjeu est de « retisser du lien social » avec ces anciens enfants aux parcours cabossés.

« Au moins, quand on se voit, je sors de chez moi. Ça compte », confie Titouan. En quelques mois, il s’est ouvert au contact de Romain − entre sorties au bowling ou au cinéma, et une visite des chefs-d’œuvre du Louvre, où l’éducateur a emmené une douzaine de jeunes du programme. « De base, je ne parlais pas, moi. Jamais, poursuit Titouan. A l’époque, même pour ouvrir mon compte bancaire à La Poste, je suis resté devant le guichet, comme ça, sans rien dire. Je n’y arrivais pas. Maintenant regardez », dit-il, en pointant sa bouche en mouvement, presque amusé de ce changement radical.

Le programme La Touline, du nom de ce nœud d’ancrage de marins, vise à éviter les ruptures de parcours chez ces jeunes sans attaches, qui se retrouvent parfois « du jour au lendemain sans aucune prise en charge » publique, explique Adeline Marchive, directrice de La Touline de Seine-et-Marne. Basé à Combs-la-Ville depuis 2020, ce dispositif fait partie des dix-sept programmes qui sont aujourd’huiimplantés sur le territoire français, financés en grande partie par des mécènes. Ces dispositifs se positionnent sur le court terme, en répondant à des situations de précarité immédiates, mais aussi en aidant à stabiliser la trajectoire de jeunes jusqu’à 25 ans.

Ceux-ci y participent sur la base du volontariat et selon leurs besoins, souvent après avoir été repérés grâce au réseau associatif local ou par l’entremise des foyers. « La Touline a été créée pour être dans les interstices de l’Etat, là où les jeunes n’ont rien, souligne Romain Vincent. Et les jeunes sortants de l’ASE sont aujourd’hui traités comme des citoyens de seconde zone : on ne leur laisse pas l’occasion de pleinement s’épanouir. Ils doivent être tout de suite des adultes responsables, bien intégrés à peine majeurs, plus vite que les autres malgré leurs points de vulnérabilité dus à leur placement : ça relève de la magie. »

L’objectif est de les accompagner pour aller progressivement vers cette autonomie. « On construit avec eux la prise d’indépendance, en leur montrant les différents acteurs vers lesquels ils peuvent se tourner, les différentes démarches nécessaires pour qu’ils puissent, une fois prêts, le faire seuls », explique Adeline Marchive. Sans être un lieu d’hébergement, La Touline permet aussi une domiciliation administrative, indispensable lors de la recherche d’un emploi ou d’un logement dans le parc privé.

Un logement pérenne

Une étude d’impact, réalisée en 2021 par un cabinet de conseil indépendant sur différentes Touline, montrait que, à l’issue du programme, plus de la moitié des jeunes suivis avaient trouvé un emploi en CDD ou en CDI. La quasi-totalité disposait aussi d’un logement pérenne : un enjeu majeur quand on sait que plus d’un tiers des jeunes de moins de 25 ans à la rue sont d’anciens enfants placés, et que 43 % des bénéficiaires étaient, à leur entrée dans le programme, sans abri ou vivaient dans des squats.

« Il y a aussi, au-delà des besoins de première nécessité, l’urgence d’offrir un espace à ces jeunes où ils peuvent exprimer des rêvesLeur montrer qu’ils y ont droit aussi, et que des adultes référents sont là pour les porter, les considérer. Car souvent ce sont des jeunes qui s’interdisent toute projection d’avenir », ajoute Romain Vincent. « Avoir quelqu’un sur qui on peut s’appuyer, je ne dis pas non », souffle ainsi Sambo, également suivi par l’éducateur.

A 21 ans, ce jeune animateur périscolaire, qui exerce dans l’école de sa petite commune, ne peut plus prétendre à aucun accompagnement éducatif de la part de l’ASE. Romain est alors une présence essentielle à ses côtés lors des visites difficiles de Sambo à sa mère, très malade et en Ehpad. Il lui permet aussi de clarifier ses idées sur le futur, « notamment la préparation du permis, qu’il repousserait ad vitam aeternam si on ne le pressait pas un peu », s’amuse le travailleur social.

Récupérée devant son école de moniteurs éducateurs, Camélia, 21 ans, glane aussi volontiers les conseils de Romain pour ses recherches de stage. Elle suit beaucoup plus sereinement ses études depuis que La Touline l’a redirigée vers un foyer de jeunes travailleurs où une place se libérait. A sa sortie de l’ASE, elle n’avait trouvé à se loger que dans un appartement insalubre, loué par un marchand de sommeil, où elle est restée plus de six mois. Toute une période où elle s’était sentie « abandonnée ».

Jusqu’à ce que Romain, son ancien éducateur en foyer, à l’époque où il exerçait dans une maison d’enfants à caractère social, lui parle de La Touline. « Il connaît bien mon passé, alors je suis en confiance. Il m’a aidée à transformer la colère qui m’habitait depuis l’adolescence », raconte-t-elle. Ils partagent aussi des passions, notamment pour l’univers des mangas. Avant de partir, Romain lui donne d’ailleurs rendez-vous à la soirée consacrée aux films d’animation japonais qu’il organise deux semaines plus tard. Camélia lui glisse quand même : « Et tu reviendras dans pas très longtemps, pour un goûter ? » Histoire d’avoir le temps de parler.


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