par Eva Fonteneau, envoyée spéciale à Coteaux-du-Blazancais (Charente)
publié le 7 décembre 2023
Un jour d’automne à Coteaux-du-Blanzacais, petit village charentais. Dans un décor de carte postale où les vallons tutoient le ciel à perte de vue, un troupeau d’ânes broutent frénétiquement une parcelle d’herbe fraîche. Tout à coup, des voix se font entendre au loin, puis de plus en plus distinctement. Les grandes oreilles se dressent aussi vite que les têtes se relèvent, laissant apparaître de larges yeux en amandes, doux et bienveillants. L’air impatient, Nuage, le plus jeune et plus fougueux, prend la tête de la bande. Les voix se rapprochent. Cinq résidentes de l’Ehpad et de l’ESLD (1) de Barbezieux, accompagnées d’aides-soignantes et d’animatrices, prennent place en arc de cercle au milieu de l’enclos. Dans un silence quasi religieux, Claire Couturon, médiatrice animale pour l’association Corps et Anes et maîtresse de cérémonie d’un jour, vient à leur rencontre. Le «bain d’âne» peut commencer.
Avec leurs gabarits aussi variés que les couleurs de leur pelage, dix ânes se mêlent aux visiteuses pour recevoir des caresses. Vagabond, originaire de Provence, file droit sur Michèle, 93 ans, et Bernadette, 94 ans, toutes les deux en fauteuil roulant. Un grand sourire se dessine sur les visages. Hésitantes mais curieuses, elles tendent la main pour toucher son poil. «Qu’il est doux !» s’exclame Bernadette. Vagabond s’approche un peu plus et pose son museau sur l’épaule de Michèle qui ne bronche pas. «Je crois qu’il m’aime bien», s’amuse-t-elle. «Quand j’étais jeune, les paysans ne les appréciaient pas beaucoup, rembobine Bernadette. Ils étaient régulièrement battus, les pauvres. Je préfère les voir comme ça.»
«On essaie de créer un lien entre les humains et les animaux»
Autrefois utilisé par les bergers pour porter le matériel lors des transhumances, l’âne a aujourd’hui troqué son statut de mal-aimé contre celui d’animal doué d’une grande sensibilité, capable d’apaiser les âmes. «C’est tout l’objectif des séances que nous organisons ici à destination des personnes âgées, mais aussi des scolaires ou des personnes porteuses d’un handicap. On essaie de créer un lien entre les humains et les animaux pour améliorer leur bien-être, les sortir de l’isolement, stimuler leur mémoire, leur énergie. Pour qu’ils se reconnectent avec la nature aussi», déroule Claire Couturon. Laurence, animatrice, se souvient notamment de cette dame âgée qui passait son temps à crier. «Ici, je l’ai vue parler doucement pour la première fois. On lui a donné une photo de l’ânon. Les semaines suivantes, elle ne parlait que de lui !»
«On a aussi des gens en burn-out qui viennent, c’est très réconfortant de les voir repartir l’esprit plus léger», partage Catherine Follet, infirmière de profession et médiatrice animale. C’est dans son esprit qu’a émergé l’idée de Corps et Anes en 2012. «J’ai eu mon premier coup de cœur pour cet animal en 2009, lors d’une randonnée dans l’Isère. L’année suivante, j’ai acheté ma première ânesse, Anémone. J’ai mis six jours à la ramener à pied jusque chez moi, ça a créé un lien très fort», raconte la fondatrice, qui a depuis acquis de nombreux autres compagnons pour conjuguer ses deux passions : le soin et les animaux. Aujourd’hui, elle travaille avec cinq bénévoles qui se relaient pour les deux séances quotidiennes. «On cherche encore des volontaires», glisse d’ailleurs la Charentaise, qui précise que les visiteurs s’acquittent d’une adhésion à l’association et d’une participation aux frais.
«C’était incroyable de le voir se transformer»
Dans l’enclos, les yeux de Claire Couturon filent à toute allure sur les visiteuses pour s’assurer que celles-ci ne font aucun mouvement brusque. Quelques minutes plus tôt, elles ont eu un topo détaillé sur l’âne dans une yourte construite à l’entrée des 6 hectares de terrain. Pour mieux appréhender le moment. «Les ânes sont très curieux et adorent être câlinés, mais ils restent de gros animaux spontanés. On leur apprend à ne pas prendre peur quand ils entendent un cri par exemple. Vous savez ce qu’on dit : un cheval, ça obéit, un âne, ça coopère !» prévient-elle. Près d’une barrière justement, elle s’aperçoit que Marie-Claude, atteinte d’Alzheimer, est un peu effrayée par Apache, un âne pyrénéen. Pour la mettre en confiance, elle lui raconte son histoire : Apache est un âne calme et tendre, marqué par des années de violences avec ses anciens maîtres. Marie-Claude se détend et esquisse un sourire. Elle ira même jusqu’à brosser l’animal durant la deuxième partie de la séance qui se termine par une balade avec obstacles.
Parmi les plus beaux souvenirs de l’association, la venue d’un monsieur de 93 ans en 2015. Le teint cireux, vissé dans son fauteuil roulant avec le regard vide, il ne parlait pas, ne réagissait à rien. «A sa septième séance, il a pris tout le monde de court : il s’est levé, a chuchoté quelque chose à l’âne puis s’est mis à parler de sa jeunesse, de la guerre, de Bordeaux. Il a même commencé à danser la valse. C’était incroyable de le voir se transformer. Son fils nous a remercié d’avoir donné un peu de bonheur à son père pour ses derniers jours», se rappelle Catherine Follet, encore émue. «On ne force jamais personne. Pour certains, le simple contact avec la nature en présence d’animaux est suffisant,insiste Claire Couturon. Mais parfois, quand on ne s’y attend pas, la magie opère.»
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