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vendredi 18 août 2023

Santé Annonce d’une maladie grave : savoir dire l’inacceptable

par Nathalie Raulin   publié le 17 août 2023

Traumatisante pour le patient et les proches, décisive pour le bon déroulement des soins, l’annonce d’une pathologie lourde est soumise à un protocole depuis une vingtaine d’années. Mais même si la prise de conscience des équipes soignantes est réelle, les manquements restent fréquents

Il est minuit passé quand, en ce début juillet, Thomas (1) rejoint ses parents sur le parking des urgences de l’hôpital de Dax. Sa mère, qui s’est endormie à force de l’attendre, se réveille en sursaut, interrogative et inquiète. Depuis quinze jours, son fils perd la vue sans raison apparente. La violence de la dernière attaque les a précipités vers l’hôpital. Tombant de sommeil, le jeune homme lui fait part de ce qu’il vient d’apprendre : «Quelqu’un m’a dit que j’avais un truc, une “sclérose en plaques” je crois, et que je devais revenir demain pour le traitement. Il était pressé. Il ne m’a rien dit d’autre.»Une sclérose en plaques ? Ni lui ni ses parents ne savent de quoi il retourne, mais chacun pressent que l’affaire est grave. Dans la voiture, c’est l’affolement.

«La maman a immédiatement pensé à la mort. Ils ont passé le restant de la nuit sur Internet sans pouvoir fermer l’œil», raconte Florian Deygas, vice-président du Conseil national consultatif des personnes handicapées, contacté par les parents indignés de la brutalité avec laquelle leur fils a découvert sa pathologie. «Annoncer une sclérose en plaques entre deux consultations aux urgences au milieu de la nuit à un gamin de 21 ans, non accompagné, c’est intolérable», poursuit le conseiller municipal de Soustons (Landes), lui-même touché par la maladie. «J’ai vécu la même chose, il y a huit ans. Un interne m’a attrapé dans un couloir de l’hôpital en me disant : “On a trouvé. C’est une sclérose en plaques. C’est incurable. Je file.” Avec la Ligue française contre la sclérose en plaques, on se bat pour en finir avec ces annonces chaotiques et dévastatrices. Une maladie grave, ce n’est pas banal.»

En théorie, de telles annonces expéditives appartiennent à l’histoire ancienne. Celle d’avant le premier plan national de lutte contre le cancer de mars 2003. Dénonçant des annonces «pas toujours réalisées avec la psychologie nécessaire ni dans des conditions d’intimité satisfaisantes», le président Chirac avait alors pressé le corps médical de rompre définitivement avec une pratique paternaliste, peu compatible avec l’aspiration de la société à plus de démocratie sanitaire et la généralisation de l’accès à l’information via Internet. Vingt ans plus tard, la réforme a largement infusé dans les cursus des étudiants en médecine (lire ci-contre) et les services hospitaliers sensibles – oncologie, hématologie, neurologie, pédiatrie etc. «Il y a eu une vraie prise de conscience de l’importance de ce moment, confirme le professeur Steven Le Gouill, hématologue et directeur de l’Ensemble hospitalier de l’Institut Curie. En cancérologie, le dispositif d’annonce est formalisé, structuré, organisé depuis 2005. On sacralise désormais un temps long, au calme, pour informer le patient, et répondre à ses questions. On sait que si l’annonce se déroule mal, il sera plus difficile ensuite d’instaurer une relation de confiance avec l’équipe soignante. Or, l’adhésion du patient et de son entourage est essentielle pour maximiser les chances de réussite du traitement.»

«Vous allez pouvoir vous inscrire sur Tinder…»

Face à l’enjeu, les hospitaliers tentent désormais de limiter les fuites de diagnostic aux conséquences désastreuses. «On s’est battu pour que les radiologues de l’hôpital ne communiquent pas les comptes rendus d’imagerie au patient avant que le médecin prescripteur ne l’ait reçu, insiste le docteur François Salachas, neurologue à l’hôpital de la Pitié-Salpêtrière. C’est la pire façon d’apprendre qu’on est atteint d’une pathologie grave : vous êtes seul avec votre angoisse, sans personne pour vous expliquer ce qui se passe, ni ce qui va arriver. Mais dans le privé ou en ville, l’information à laquelle le patient à droit dès l’examen effectué peut être délivrée sans contextualisation, créant l’illusion d’un savoir.»Aux urgences, le risque de ratage est également bien présent : entre passages incessants et obligation d’intervention rapide pour contenir une crise aiguë, les annonces lapidaires ne sont pas rares.

La protocolisation de l’annonce limite les sorties de route. Elle ne les élimine pas. Jean-Bernard Caron a gardé en mémoire la façon dont son neurologue lui a appris le 12 juin 2019 qu’il souffrait d’une sclérose latérale amyotrophique, dite «maladie de Charcot», une maladie neurodégénérative incurable et dont l’évolution est rapide. «Ça a été un vrai choc mais je n’ai pas éprouvé de colère, nous racontait ce quinquagénaire en septembre dernier. J’ai seulement trouvé que le médecin avait un sens de l’humour très déplacé : quand il nous a annoncé le diagnostic, il s’est tourné vers ma femme en lui disant : “Madame, vous allez pouvoir vous inscrire sur Tinder…”» Le cadre supérieur a mis l’indélicatesse sur le compte de la gêne, et conservé sa confiance au praticien.

Tel n’est pas toujours le cas. «Certains patients se plaignent de la façon dont on leur a annoncé leur pathologie, et, paradoxalement, quand on interroge le médecin, il n’est pas rare qu’il n’ait pas perçu l’insatisfaction du patient, constate le Steven Le Gouill. Beaucoup de facteurs peuvent expliquer cette différence de perception. Cela peut venir du praticien, qui par fatigue ou manque d’empathie fait inconsciemment preuve de maladresse dans son attitude ou son vocabulaire. Mais cela peut aussi s’expliquer par la difficulté d’entendre l’annonce.» Car quand la vie bascule sans préavis, la sidération peut faire place au déni et à la colère. «Le choc est si violent qu’il arrive qu’un patient rejette en bloc le diagnostic et celui qui le lui transmet, poursuit l’hématologue. Mieux vaut alors reprendre le temps de l’annonce, parfois avec un autre soignant : l’adhésion du malade à la stratégie de traitement en toute confiance est essentielle pour qu’il honore ses rendez-vous médicaux, qu’il fasse ses examens en temps et augmente ses chances de guérison.»

«On essaye de faire le moins de mal possible»

Cheffe du service de neuropédiatrie à l’hôpital Necker-Enfants malades, la professeur Isabelle Desguerre a rencontré maintes fois la difficulté. Les mauvaises nouvelles – maladie lysosomale, tumeur cérébrale, ou pathologie rare – la praticienne en annonce au moins une par semaine à des parents «perdus». Des consultations d’autant plus éprouvantes qu’à la différence des cancérologues, les neurologues n’ont quasiment pas de solutions thérapeutiques à proposer. «On essaye de faire le moins de mal possible, explique la neuropédiatre. On procède par étapes. On voit une première fois en tête-à-tête les parents, puis l’enfant, pour dire l’essentiel. Et on les revoit plus tard en présence d’une psychologue pour clarifier les choses. On ne ment pas, on ne minimise pas la douleur qu’on inflige, on évite la brutalité. Si l’on veut protéger l’enfant, il ne faut pas que les parents dévissent. Mais, malgré toutes les précautions, cela peut très mal tourner. Je me souviens d’un père à qui je venais d’annoncer que son bébé souffrait d’une amyotrophie spinale, qui a menacé de le jeter par la fenêtre et lui après… Il m’est aussi arrivé de demander à des parents de repartir sans leur enfant, que je le gardais à l’hôpital, tant je redoutais qu’ils aient un geste désespéré à son égard. Pour éviter d’en arriver là, il faut proposer tout de suite un projet de prise en charge pour l’enfant, quelle que soit la gravité de la maladie et du handicap.»

Car les proches, dévastés, peuvent être cause d’interférences délétères. «Nous avons récemment eu le cas d’un mari qui n’était pas présent lorsqu’on a annoncé à sa femme qu’elle était atteinte par la maladie de Charcot, se souvient François Salachas, spécialiste de la sclérose latérale amyotrophique. Dans la nuit, il a envoyé une série de mails personnalisés à l’hôpital pour se plaindre d’une annonce diagnostique faite, selon lui, “avec inhumanité”, et réclamer d’être reçu par le médecin sans délai et en l’absence de son épouse, ce qui, d’expérience, est contreproductif. Un tel comportement est une source de toxicité majeure dans la relation de soin.» Parce que cela aggrave le ressenti du patient de sa propre maladie. Mais aussi parce que les jeunes médecins, «dont le cuir n’est pas tanné», sont alors confrontés à un dilemme redoutable : répondre aux multiples sollicitations des familles, c’est risquer un burn-out rapide ; ne pas y répondre, c’est ployer sous la culpabilité. «D’une façon plus générale, le harcèlement par mail devenait si massif que l’an dernier, on a abordé la question en commission médicale d’établissement», indique le neurologue de la Pitié, qui s’emploie à «fixer des limites»aux malades et à leur entourage : «Notre raison d’être, ce qui donne tout son sens à notre métier, c’est d’aider le patient et ses proches à affronter la maladie en nous appuyant sur notre expérience, de les accompagner jusqu’au bout. Mais on ne peut pas être à disposition non-stop. Porter l’angoisse a un prix. Parfois, les médecins aussi ne sont pas loin de la rupture.»

(1) Le prénom a été modifé.


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