Marseille, le mardi 1er août 2023
Dans une tribune publiée dans le journal La Croix, des médecins s’indignent que certains de leurs confrères accordent des arrêts maladie de complaisance à des policiers frondeurs.
Voilà désormais près de deux semaines que des centaines de policiers à travers la France et notamment dans les Bouches-du-Rhône et les Alpes-Maritimes utilisent des arrêts maladie dits « de complaisance » pour cesser le travail et contourner l’interdiction qui leur est faite de se mettre en grève. Ce faisant, ils souhaitent protester contre le traitement judiciaire infligé à quatre de leurs collègues, accusés d’avoir violemment passé à tabac un jeune homme de 21 ans dans la nuit du 1er au 2 juillet dernier à Marseille au cours des émeutes urbaines qui touchaient notre pays. Les quatre fonctionnaires ont en effet été mis en examen et l’un d’eux placé en détention provisoire.
Des arrêts maladie de complaisance que ces policiers frondeurs ne peuvent obtenir qu’auprès de médecins. Impossible de dire cependant si les praticiens qui délivrent des arrêts de travail à ces policiers le font par solidarité avec le combat politique de ces derniers, parce qu’ils sont trompés par des fonctionnaires de police qui leur font croire être réellement atteint d’une maladie ou en situation d’épuisement professionnel ou tout simplement par légèreté blâmable (voire par souhait d’éviter tout conflit).
Les médecins dénoncent une pratique « illégale et répréhensible »
La complicité de certains médecins avec ce qui constitue ni plus ni moins qu’une fraude à l’Assurance Maladie, qui permet aux policiers de cesser le travail tout en continuant à être rémunérés, choque un certain nombre de praticiens. Onze médecins ont donc signé ce vendredi une tribune dans le journal La Croix pour se désolidariser de ces praticiens trop peu regardants et rappeler l’importance de respecter les règles relatives aux arrêts de travail. Parmi les membres de ce collectif plutôt marqué à gauche, on compte notamment deux anciens présidents de l’association Médecins du Monde, les Dr Philippe de Botton et Bernard Granjon.
Les auteurs de la tribune soulignent tout d’abord l’hypocrisie du mouvement de fronde des policiers, qui tantôt revendiquent clairement que ces arrêts maladie ont pour seul but d’exprimer une revendication politique, tantôt mettent en avant « des justifications d’ordre médical aussi vagues que des allégations de fatigue mentale et physique, en complète contradiction avec la version du mouvement de contestation des policiers ».
Surtout, ces médecins rappellent que la prescription d’un arrêt maladie « est avant tout un acte thérapeutique » qui doit par conséquent respecter des règles déontologiques. « Cette prescription engage pleinement la responsabilité du médecin et doit être effectuée dans le respect de règles déontologiques bien établies ; comme le précise l’article 28 du code de déontologie médicale, la délivrance d’un rapport tendancieux ou d’un certificat de complaisance est interdite » rappellent les médecins. « Le recours aux arrêts de travail ne peut en aucun cas avoir comme objectif d’exercer une pression sur l’employeur ou d’exprimer une protestation politique, le recours en masse et simultané aux arrêts de travail comme mode de pression nous apparait donc éminemment contestable, pour ne pas dire illégal et répréhensible » surenchérissent les auteurs de la tribune.
Les médecins dénoncent l’hypocrisie du gouvernement
Alors que l’exécutif n’a pas osé désavouer les policiers frondeurs, de peur de provoquer un mouvement de contestation plus important encore, les médecins dénigrent l’hypocrisie du gouvernement sur le sujet. Avant cette grève déguisée, plusieurs ministres avaient en effet dénoncé l’augmentation importante ces dernières années des indemnités journalières (+ 44 % entre 2010 et 2022) et n’hésitaient pas à critiquer la prétendue complaisance des médecins. La CNAM a même lancé début juin une grande opération de contrôle, visant notamment les praticiens délivrant un nombre considéré comme anormal d’arrêts de travail.
« Ce gouvernement n’a cessé de pointer du doigt à la fois des médecins beaucoup trop complaisants et des patients assistés et paresseux, voir simulateurs ; mais là, le silence du gouvernement et de l’Assurance Maladie est assourdissant » soulignent les onze médecins. « Tout nous semble se passer comme s’il existait deux poids deux mesures : patients lambda contre corps de métier influent, sans qu’aucun contrôle ne soit immédiatement mis en place, en l’occurrence par l’employeur, le ministère de l’Intérieur » concluent ces praticiens engagés.
Si la polémique sur ces arrêts de maladie de complaisance monte, elle pourrait cependant bientôt prendre fin : la chambre de l’instruction de la cour d’appel d’Aix-en-Provence doit décider ce jeudi du maintien ou non en détention du policier au cœur de l’affaire.
Quentin Haroche
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