par Nathalie Raulin publié le 9 juin 2023
Coup de tonnerre dans le landernau médical. Inspiré par le succès de Netflix, Ramsay, numéro 1 de l’hospitalisation privée en France, lance l’abonnement «médecin». Sa promesse commerciale ? Pouvoir téléconsulter un médecin 24 heures 24 et 7 jours sur 7 sans délai et autant que de besoin (à concurrence de vingt fois par an), pour 11,90 euros par mois, point barre. De quoi soulever une vague d’indignation sur Twitter. Le collectif Nos services publics dénonce une «attaque inédite contre l’égalité face au soin». Des médecins, ravalés de facto par l’offre Ramsay au rang d’acteur Kleenex de la santé, crient au «scandale». En soutien de ses ouailles, le Conseil national de l’ordre a fait savoir jeudi «s’opposer à une offre» qui «remet en cause le modèle de santé français fondé sur la solidarité et la gratuité des soins» et «contraire à la déontologie médicale». Vice -président du Conseil national de l’ordre des médecins, le docteur Jean-Marcel Mourgues s’en explique.
Que vous inspire l’offre de Ramsay ?
Beaucoup d’inquiétudes et d’interrogations. Ramsay sort du bois au moment où le désarroi des patients comme des professionnels est à son comble, le système de santé durement éprouvé par le Covid étant à bout de souffle. Une réforme ambitieuse et globale de la santé s’impose. C’est la condition pour que les praticiens retrouvent du sens à leur métier et que nos concitoyens recouvrent un système d’exception, par sa solidarité et la qualité de sa prise en charge. L’offre de Ramsay tourne le dos à cette ambition : il ne s’agit pas pour le groupe d’améliorer la qualité de prise en charge du patient sur la durée, mais de répondre ponctuellement et de façon mercantile à une demande de soin ressentie ou réelle. Cela ne fera que déconsidérer un peu plus le métier de médecin. Cette offre est contraire à la déontologie médicale.
Vous avez fait part de vos préoccupations au ministre de la Santé ?
Oui. Nous avons envoyé mardi soir un courrier à François Braun. Nous lui demandons de diligenter sans délai une enquête. Le modèle économique de l’offre Ramsay pose questions. Les 11,90 euros d’abonnement mensuels réclamés par Ramsay seront-ils pris en charge par l’Assurance maladie ? Si tel n’est pas le cas, ce qui est probable, ce serait une remise en cause d’un principe fondateur de notre système de santé, à savoir l’égalité d’accès des citoyens à la santé. De fait, seules les personnes solvables pourront y recourir. C’est une discrimination qui ne dit pas son nom. Un autre point mérite des éclaircissements : les téléconsultations effectuées par les médecins qui contracteront avec Ramsay seront-elles remboursées au groupe privé par l’Assurance maladie ? Ce n’est a priori possible que si ces actes effectués «hors parcours de soins»relèvent de l’urgence. Comme cela ne cadre pas vraiment avec l’offre commerciale du groupe, on peut craindre que cela passe par un dévoiement des règles de nature à perturber le parcours de soins.
Avoir accès sans délai à un médecin 24 heures 24, n’est-ce pas le rêve des Français qui peinent aujourd’hui à décrocher un rendez-vous médical ?
C’est avoir une vision très court-termiste de la santé. L’offre de Ramsay ne s’inscrit dans aucune cohérence globale du parcours de soins. La téléconsultation ne permet pas systématiquement de poser un diagnostic fiable et d’assurer une bonne traçabilité des actes et des prescriptions médicales. La qualité du suivi du patient risque de s’en ressentir rapidement. En cas de maladie complexe ou de polypathologies, cela peut avoir de lourdes conséquences.
Lors de ses vœux aux professionnels de santé le 6 janvier, le chef de l’Etat a fait part de son intention de «libérer» la téléconsultation, en autorisant les médecins à la pratiquer au-delà du seuil de 20 % de leur activité actuellement en vigueur. Qu’en pensez-vous ?
Cela ne me paraît pas souhaitable. Cela entraînerait inévitablement une dégradation de la qualité des soins. La téléconsultation est un mode d’exercice dégradé : il ne permet pas l’auscultation du patient, gage de qualité du diagnostic. Cette volonté présidentielle interroge sur une évolution exagérément néolibérale et commerciale du système de santé.
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