par Nathalie Raulin publié le 7 juin 2023
C’est un passage en force qui pourrait faire boule de neige. Depuis lundi, une soixantaine de généralistes des Ardennes, soit le tiers des praticiens du département, s’affranchissent des règles tarifaires conventionnelles. Ce n’est plus 25 euros mais 30 qu’ils réclament désormais à leurs patients en fin de consultation. Leur faisant supporter la majoration «sauvage» de 5 euros, non remboursée par la Sécu.
«L’inflation ne nous laisse pas le choix, justifie le docteur Yannick Pacquelet, généraliste installé depuis neuf ans à Signy-le-Petit et porte-parole du collectif ardennais. L’électricité, le gaz, nos fournitures, le loyer, tout augmente sauf notre chiffre d’affaires ! On bosse déjà onze heures par jour. On ne peut pas faire plus. Sans hausse de tarif, on ne pourra pas tenir. La maison de santé emploie cinq salariés, dont une secrétaire et deux assistants médicaux. Il faut pouvoir les payer !» Or pour les généralistes, les perspectives d’évolution tarifaire sont sombres. Eux qui pensaient obtenir cette année une forte revalorisation de la consultation bloquée depuis 2017 ont déchanté. Mi-avril, l’arbitre désigné après l’échec des négociations conventionnelles avec l’Assurance maladie a tranché en faveur d’une augmentation générale de 1,50 euro, à compter de novembre… Fin avril, une praticienne du sud-ouest révoltée à l’idée de devoir pratiquer une «médecine d’abattage» pour gagner sa vie, annonce sur les réseaux sociaux son intention d’enfreindre la règle tarifaire conventionnelle. Le président d’honneur de la Fédération des médecins de France, le docteur Jean-Paul Hamon, généraliste toujours en activité à Clamart (Hauts-de-Seine), embraye peu après, annonçant lui aussi avoir porté sa consultation à 30 euros. De-ci de-là, des médecins lui emboîtent le pas. Mais la désobéissance tarifaire reste marginale.
Menaces de sanctions
Par son ampleur et la réputation de ses membres, l’initiative des médecins des Ardennes change la donne. «Ces praticiens sont des gens raisonnables et impliqués sur leur territoire, apprécie le Dr Devulder, président de la Confédération des syndicats médicaux français (CSMF). Lors des états généraux de la santé du 8 septembre 2022, la ministre Agnès Firmin Le Bodo et le maire de Reims, Arnaud Robinet, avaient eux-mêmes salué la qualité des actions engagées par le Dr Pacquelet pour améliorer l’accès aux soins dans ce département médicalement sous doté. Ce qu’ils font interpelle tout le monde.»
Même la Caisse nationale d’Assurance maladie (Cnam) prend l’affaire au sérieux. «On suit de près cette initiative, indique son directeur, Thomas Fatôme. Le directeur de la Caisse primaire des Ardennes leur a proposé de les rencontrer pour dialoguer et leur rappeler les règles du jeu. Mais si certains généralistes ardennais persistent, ils s’exposent à des sanctions qui peuvent aller de la non-prise en charge de leurs cotisations sociales par l’Assurance maladie jusqu’au déconventionnement. Ne pas respecter le tarif conventionnel, c’est pénaliser les patients qui doivent alors payer un reste à charge important. J’appelle les médecins à la responsabilité.» Des menaces balayées par le collectif ardennais. «On sait qu’on prend un risque, admet le Dr Pacquelet. Mais on n’a rien à perdre ! Si on n’augmente pas nos tarifs, la maison de santé est condamnée. Si l’Assurance maladie sanctionne l’un d’entre nous, les autres s’arrêteront. Tout mon bassin de population, environ 10 000 personnes, serait alors privé de soins de premier recours. On n’est pas dans la provocation. Si on râle, c’est qu’il se passe quelque chose de grave.»
Appel au déconventionnement
A l’en croire, les Ardennais l’ont, eux, bien compris. «Mes patients me soutiennent, insiste le médecin. Ils ne sont pas fous. Ils se rendent compte que 25 euros la consultation ça n’est pas normal vu ce que leur réclame leur coiffeur !» Pour le généraliste, tout est question de discernement : «On est bien placé pour savoir que notre territoire est socialement fragile. On n’applique évidemment pas le dépassement exceptionnel aux personnes en difficulté. L’idée n’est pas d’accentuer le renoncement aux soins mais au contraire de pouvoir maintenir un accès aux soins.» Par peur de lourdes représailles financières, les deux principaux syndicats de généralistes, MG France et la CSMF, se gardent de tout soutien officiel aux rebelles. «Mais on les comprend», glisse le Dr Devulder qui promet de défendre les praticiens s’ils étaient juridiquement poursuivis.
Si la Cnam dit ne pas observer pour l’heure d’évolution «notable» de désobéissance tarifaire à l’échelle nationale, cette protestation pourrait néanmoins attiser un feu couvant. Dès la fin mai, la Fédération des médecins de France a officiellement invité ses adhérents à créer des collectifs locaux dans le but d’enclencher un «vaste mouvement de contestation tarifaire». Le syndicat UFML-S, à l’origine de l’appel au déconventionnement lancé après l’échec des négociations avec la Cnam, n’est pas en reste. «Des coordinations se montent partout, à Montpellier, à Tarbes, dans le Nord, en région parisienne», se félicite son président, le Dr Jérôme Marty, qui sillonne la France pour convaincre les praticiens de terrain de se regrouper pour agir. Objectif ? Peser sur les négociations conventionnelles que la Cnam devrait rouvrir en septembre mais aussi dissuader le législateur d’entraver leur liberté d’exercice. Non sans succès. Le 4 juin, une coordination réunissant quelque 345 médecins libéraux du Maine-et-Loire est passée à l’offensive. Dans une tribune, le collectif annonce l’intention «de nombreux médecins généralistes» d’appliquer un «complément d’honoraire de 5 euros à leur consultation» à compter du 12 juin, en guise de protestation contre la proposition de loi Valletoux sur l’accès aux soins examinée ce jour-là par l’Assemblée nationale. A en croire le Dr Thierry Vermeersch, vice-président de l’UFML-S, 200 praticiens du Grand-Est devraient faire de même. Et la liste des foyers de rébellions pourrait vite s’allonger. Au risque de pénaliser les patients les plus modestes.
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