Par Catherine Quignon Publié le 06 juin 2023
Seuls la France, le Danemark, l’Espagne, l’Italie et la Suède ont entrouvert la porte à une reconnaissance du caractère professionnel de pathologies telles que la dépression ou le burn-out, constate une étude de l’observatoire Eurogip. En cause, la difficulté à mesurer objectivement l’impact de conditions de travail dégradées.
Alors que la réforme des retraites remet sur le devant de la scène médiatique le sujet du mal-être au travail, la reconnaissance du caractère professionnel de troubles psychiques est loin de faire consensus en Europe, constate Eurogip. Dans son dernier rapport, publié en mai, cet observatoire, créé par l’Assurance-maladie-Risques professionnels, s’est penché sur la façon dont plusieurs pays européens se sont emparés de ce sujet.
A l’image de la France, seulement une poignée de nos voisins ont entrouvert la porte à une reconnaissance en maladies professionnelles de pathologies telles que la dépression ou le burn-out : le Danemark, l’Espagne, l’Italie et la Suède.
En cause, la difficulté à mesurer objectivement l’impact de conditions de travail dégradées – harcèlement, surcharge de travail… – sur la santé mentale d’un travailleur, alors que des facteurs extraprofessionnels peuvent également l’affecter. L’Allemagne, l’Autriche ou encore la Suisse excluent cette possibilité.
Des critères d’appréciation très différents
Seul pays à avoir inscrit deux troubles mentaux – le stress post-traumatique et la dépression du vétéran – dans la liste des maladies professionnelles (sans pour autant écarter l’examen de pathologies hors liste), le Danemark arrive en tête des pays qui enregistrent le plus de demandes de reconnaissance et de cas reconnus. Mais avec un taux de reconnaissance des maladies psychiques plus faible (7 %) qu’en Italie (10 %) et surtout qu’en France, où ce taux atteint les 52 % (dans le secteur privé).
Dans le système français, les dossiers déposés sont beaucoup moins nombreux (16 demandes en moyenne pour 100 000 assurés, contre 162 au Danemark), mais appréciés au cas par cas par les comités régionaux de reconnaissance des maladies professionnelles (CRRMP). « Il est tentant d’interpréter ces taux de reconnaissance comme une illustration du degré d’ouverture du système de reconnaissance des maladies professionnelles psychiques », avancent les auteurs de l’étude.
Ces chiffres couvrent aussi des critères d’appréciation très différents d’un pays à l’autre. « Les interprétations jurisprudentielles de ce que recouvre un accident du travail d’une part, les procédures réglementaires de reconnaissance des maladies professionnelles d’autre part expliquent aussi cet écart au niveau des demandes et des reconnaissances », souligne Eurogip.
En France, la législation fixe un taux d’incapacité permanente d’au moins 25 % lorsqu’une maladie professionnelle est reconnue, ce qui suppose des lésions psychiques graves et irréversibles sur des victimes pas toujours en capacité de monter un dossier.
A contrario, l’Espagne et l’Italie peuvent reconnaître une pathologie psychique en maladie professionnelle même lorsque le travailleur n’est atteint que d’incapacité temporaire. En revanche, l’Italie exclut les situations où les rapports interpersonnels sont en cause, comme le harcèlement.
En Finlande, le lien entre suicide et accident du travail exclu
L’étude d’Eurogip s’est en outre penchée sur les troubles psychiques reconnus comme des accidents du travail (AT). Sur cette question, « une majorité de pays » permet « une reconnaissance en AT de pathologies psychiques lorsque ces dernières sont provoquées par un événement violent et ponctuel » dans le cadre du travail, par définition aisé à identifier (agression, danger de mort…).
Mais, dans le cas d’un suicide, une telle reconnaissance reste rare ou non distinguée dans les statistiques d’accidents du travail, souligne le rapport. En Finlande, l’existence d’un lien entre suicide et travail se voit même exclue : dans ce pays, il est admis que « le fait de se donner la mort constitue un acte volontaire qui, de ce fait, n’entre pas dans la définition de l’accident ».
Pionnière, la France est le seul pays étudié à avoir mis en place une présomption d’origine professionnelle si le suicide a lieu sur le temps et le lieu de travail. Seulement trente-huit accidents du travail mortels reconnus et survenus dans l’Hexagone en 2021 sont des suicides.
« Autrement, les ayants droit doivent apporter la preuve du lien entre le décès et les conditions de travail », souligne l’étude. Un lien qui, comme pour l’ensemble des troubles psychiques, reste difficile à établir.
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