Mardi 6 juin, j’en étais à la huitième tartine beurrée (trois enfants-ogres à la maison) lorsque le journaliste de la matinale radio a énoncé d’une voix égale, au milieu des infos : « Une petite fille de CP a été retrouvée noyée dans une piscine parisienne hier. Elle était en cours de natation avec son école. » Mon compagnon et moi avons immédiatement produit des bruits parasites pour que nos enfants n’entendent pas, en particulier l’aînée, 8 ans, qui sentait encore le chlore de la veille. Mais si nous avons réussi à leur éviter d’imaginer la scène, pour nous, c’était trop tard. Mon esprit s’est instantanément projeté dans notre piscine de quartier, transposant le drame vécu par cette famille dans un lieu qui m’est familier.
Ce n’était que le début d’une dizaine de jours particulièrement éprouvants en matière de faits divers impliquant des enfants. Il y a eu Annecy, bien sûr, les alertes info, les vidéos, les récits minute par minute. Mais aussi l’histoire incroyable de cette fratrie perdue dans la jungle colombienne pendant quarante jours, quatre enfants entre 1 an et 13 ans qui ont vu leur mère mourir après un crash d’avion. Il y a eu cette terrible information sur deux petites filles de 5 et 6 ans accusées d’avoir violé une camarade de 4 ans dans une école maternelle, à Morsang-sur-Orge, dans l’Essonne. Lorsque j’ai parlé de cette accumulation d’événements à mes collègues au bureau, ils y ont spontanément ajouté d’autres faits qui m’avaient échappé : un enfant atteint d’un cancer frappé parce qu’il portait un maillot de foot de l’OM ; une fillette tuée par balle par son voisin dans le Finistère…
Cette recension d’horreurs n’a pas pour but de nourrir un sensationnalisme morbide, mais de donner à voir l’étendue des infos anxiogènes concernant des enfants qui nous parviennent. J’ai été frappée par la discussion avec mes collègues : dans les jours précédents, nous avions chacun été éprouvés par des événements différents. Disparaîtraient-ils de nos mémoires, effacés par d’autres strates d’info en continu ? Laisseraient-ils une trace en nous ? Changeraient-ils, à force, notre manière d’être avec nos enfants ?
J’ai téléphoné à la psychologue clinicienne Emmanuelle Lépine, qui a travaillé auprès de la police judiciaire et qui intervient au sein du Groupe Le Monde auprès des journalistes, en prévention des risques de traumatismes psychologiques. « Ce qui peut traumatiser, c’est l’effraction par l’image, dit-elle. Etre exposé à une image à laquelle on n’était pas préparé, comme la vidéo de l’homme poignardant des enfants à Annecy. Et l’on peut s’identifier d’autant plus que l’on a des enfants proches en âge de ceux concernés. »
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