par Marlène Thomas publié le 15 juin 2023
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Ils n’en ont pas conscience mais sont des privilégiés. Une trentaine d’élèves, âgés de 15 à 18 ans, ont eu l’opportunité d’assister durant une année entière à des séances d’éducation à la vie affective et sexuelle sous la houlette de l’animateur Didier Valentin, connu sous le pseudo de Dr Kpote. Ce qui est ici l’exception – et présentée comme une expérience inédite dans un lycée de Strasbourg miné comme beaucoup d’autres par le sexisme – devrait être la norme.
Observés par la caméra de la réalisatrice Clara Elalouf, ces volontaires ont reçu en une année plus que la plupart des jeunes n’ont jamais reçu en une scolarité. Depuis 2001, trois séances d’éducation à la vie sexuelle et affective doivent obligatoirement être dispensées chaque année du CP jusqu’à la terminale. Plus de vingt ans plus tard, seuls 15 % des élèves bénéficient de ces trois séances à l’école élémentaire et au lycée, moins de 20 % au collège, selon un rapport de l’inspection générale.
Le documentaire Classe libre, diffusé par France TV début juin et disponible en replay durant un mois, a l’intérêt d’appuyer sur ce qui manque en nous montrant ce qui pourrait (devrait) être. La réalisatrice nous embarque dans cette classe, suivant au fil des saisons la spontanéité succulente de ces lycéens, stimulée par l’humour bien senti et l’écoute sans jugement de Didier Valentin.
«Elle préfère que tu lui parles de garçons ?»
Relations amoureuses, fidélité, identités de genre, consentement, plaisir, homophobie, porno, violences… les sujets abordés sont variés, la timidité rigolarde des débuts laisse vite place à de vrais échanges. «Vous parlez sexualité avec vos parents ?» lance Dr Kpote à la cantonade. Les «non» gênés fusent. «Si elle entend le mot “fille” de ma bouche…» amorce un élève. «Ah ouais ? Elle préfère que tu lui parles de garçons ?» pique l’animateur.
La parole est libre et les avis parfois tranchés. L’authenticité (qui fait la force de ce documentaire) implique de se confronter également à des propos sexistes ou LGBTphobes. De quoi balayer l’idée reçue selon laquelle ces générations #MeToo seraient nées avec les options «féminisme» et «tolérance» directement activées. «Tous les jours, il y a une nouvelle sexualité créée, les gens accordent trop d’importance à ça et ça fait polémique», lance un jeune homme avant de conclure : «D’accord, tu es non-binaire, mais du coup tu as quoi entre les jambes ?» Un autre élève lui rétorque presque du tac au tac : «Il y a une différence entre identité de genre et identité sexuelle.» Le ton monte aussi lorsque quelques garçons tentent de minimiser les violences sexistes et sexuelles subies par les femmes. «Est-ce que tu t’es déjà pris une main au cul dans le tram ? […] Est-ce que tu t’es déjà fait traiter de pute juste parce que tu portes un short et un haut ?» bombarde une lycéenne.
Dans l’attente d’une application de la loi
Il y a aussi des moments de grâce lorsque Didier Valentin fait circuler la reproduction d’une vulve en silicone, clitoris compris dans les rangs. «Moi au début je pensais que c’était juste une petite boule», avoue une lycéenne. Ou quand l’animateur brandit un slip chauffant devant des yeux écarquillés pour les initier à la contraception masculine. Les réactions sont aussi loin d’être stéréotypées face aux catégories d’un site porno. «C’est comme un menu de fast-food, on regarde vite fait, on se pignole et après on se casse. C’est un monde horrible», appuie un jeune homme alors qu’une camarade estimait avant : «Ça peut avoir du positif. Quand tu es célibataire, tu ne vas pas te branler sur un mur.»
L’apport de ces échanges dans la construction de ces adultes en devenir est indéniable. Au visionnage, seule réside la frustration de ne pas voir ces instants précieux se développer davantage. Dans l’attente d’une application de la loi, ce documentaire ouvre la voie à d’autres initiatives de ce type. Ce film, conçu comme un outil pédagogique en tant que tel, en est une parfaite porte d’entrée.
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