par Marlène Thomas publié le 17 mars 2023
C’est l’une des priorités. Bien que noyée dans la centaine de mesures du plan pour l’égalité entre les femmes et les hommes, présenté à l’occasion du 8 mars par la Première ministre, Elisabeth Borne, la mise en œuvre des séances d’éducation à la sexualité dans les établissements scolaires figure bien dans la politique que le gouvernement souhaite déployer d’ici à 2027. Hasard – ou non – du calendrier, quelques jours avant cette présentation, SOS Homophobie, Sidaction et le Planning familial ont annoncé attaquer l’Etat en justice sous la bannière du collectif Cas d’école.
Un audit de l’Inspection générale de l’éducation, du sport et de la recherche (Igesr), remis en 2021 mais que le précédent ministre de l’Education nationale Jean-Michel Blanquer avait pris soin d’enterrer, a confirmé fin septembre que la loi n’est toujours pas respectée. Depuis 2001, trois séances d’éducation à la vie sexuelle et affective doivent obligatoirement être dispensées chaque année du CP jusqu’à la terminale. Plus de vingt ans plus tard, seuls 15 % des élèves bénéficient de ces trois séances à l’école élémentaire et au lycée, moins de 20 % au collège. Ces dernières peuvent être assurées par des enseignants formés, les infirmières scolaires ou des intervenants extérieurs.
Selon un récent sondage Ifop, commandé par Cas d’école et réalisé en février auprès d’un millier de jeunes de 15 à 24 ans, 17 % des personnes interrogées disent même n’avoir jamais eu le moindre cours sur la question. De l’Igesr en passant par le Haut Conseil à l’égalité ou encore la Commission nationale consultative des droits de l’homme, ces manquements sont pointés à un rythme presque métronomique, depuis 2003, par les institutions comme par les associations. Saisir le tribunal administratif de Paris est pour Florence Thune, directrice générale de Sidaction, une manière d’intensifier le rapport de force en passant «à une action plus contraignante» avec l’espoir de parvenir, enfin, à des engagements et des résultats.
«Des jeunes n’ont pas les clés»
Cette union tripartite autour de Cas d’école témoigne de la multiplicité des enjeux se logeant derrière ces séances d’éducation à la vie sexuelle et affective. Et des conséquences individuelles comme sociétales des carences de l’Etat que ces associations veulent soulever. Niveau de connaissance des jeunes sur le VIH en baisse, violences LGBTphobes à leur plus haut niveau en Europedepuis dix ans, un quart des hommes de 25 à 34 ans estimant qu’il faut parfois être violent pour se faire respecter selon le Haut Conseil à l’égalité… les constats sont alarmants. L’effort de transparence promis par le ministre de l’Education, Pap Ndiaye, etla ministre déléguée à l’Egalité, Isabelle Lonvis-Rome, en publiant une évaluation annuelle quantitative de la mise en œuvre de ces séances, apparaît à ce stade comme un coup d’épée dans l’eau. «Si on ne met pas de moyens supplémentaires, on peut passer notre temps à faire des évaluations et la situation n’avancera pas», appuie Sarah Durocher, présidente du Planning familial. «Lors de nos échanges, le ministre nous parle beaucoup des opposants. Il faut rappeler que c’est une loi, qu’il a obligation de la faire respecter. Derrière, ce sont des jeunes qui n’ont pas les clés pour entrer dans la société et se retrouvent démunis», insiste Lucile Jomat, présidente de SOS Homophobie.
84 % des jeunes de 15 à 24 ans jugent d’ailleurs le nombre de séances d’éducation à la sexualité à l’école insuffisant et 88 % qu’une éducation adaptée sur ces sujets aurait amélioré le début de leur vie affective et sexuelle, selon le sondage Ifop. Les deux ministres ont pu le constater sur le terrain lors d’un déplacement conjoint le 13 octobre dans un collège de Joinville-le-Pont (Val de Marne) que Libé avait suivi. La dizaine d’élèves de troisième rencontrées avait pu bénéficier de deux séances, l’une en quatrième et l’autre en troisième. «Au moins tout le monde est informé, quelle que soit la famille, tout le monde est à égalité», saluait un jeune garçon. «On apprend qu’il y a quelque chose de très important, c’est le consentement dans un couple», déroulait un autre adolescent, alors qu’une camarade témoignait quelques secondes plus tôt de «sa peur permanente» d’être victime de violences sexuelles.
«J’ai été frappé dans tous mes déplacements qu’à chaque fois la question revienne, on me réclame des cours d’éducation à la sexualité», relevait ce jour-là le ministre de l’Education nationale, en poste depuis quelques mois seulement. Réticences familiales, manque de temps et de moyens humains étaient alors pointés par l’équipe éducative comme autant de freins empêchant de respecter le rythme de trois séances par an. Le rapport de l’Igesr recoupe ces blocages : «dispersion et manque de moyens financiers ; manque de disponibilité du personnel enseignant, partiellement en lien avec la difficile gestion des emplois du temps ; défaut de pilotage au niveau national, générant opacité et inégalités territoriales».
«On attend quelque chose de plus grand»
«On attaque une action de l’Etat depuis vingt ans et pas en particulier le ministre actuel», tient à préciser Florence Thune en relevant «son engagement» tranchant avec celui de son prédécesseur. Il n’en reste pas moins «qu’il repasse par les mêmes outils de circulaire [envoyée fin septembre pour rappeler celle de 2018, ndlr], un groupe de travail. On a déjà connu ça», soupire-t-elle. Une première réunion de deux heures avec des acteurs associatifs et éducatifs s’est déjà tenue rue de Grenelle et une deuxième a été organisée lundi. «On attend quelque chose de plus grand que quatre réunions de deux heures», insiste Lucile Jomat. Le collectif demande notamment dans le cadre de son recours que soit reconnu un préjudice moral pour entrave à l’accomplissement de leurs missions associatives. «On ne peut pas pallier à chaque fois le manque de force des instances publiques et on ne peut pas non plus nous demander d’agir dans n’importe quelles conditions», martèle Marion Athiel, membre du bureau national du Planning familial, en appelant à des moyens supplémentaires pour les associations.
Dans le cadre du Plan égalité, les ministres s’engagent au déploiement d’«un plan de formation du personnel de l’éducation nationale» dont les contours restent à définir. Sous le précédent quinquennat, la formation initiale des enseignants a été renforcée de dix-huit heures obligatoires sur l’égalité filles-garçons, une vaste thématique où l’éducation à la sexualité est censée être abordée. La formation continue est, elle, facultative. «Les personnes formées finissent par faire autre chose car il n’y a pas de moyens financiers pour leur accorder une compensation pour le temps qu’ils accordent en plus à l’Education nationale», relève Lucile Jomat. La présidente du Planning appuie ce besoin de formation des profs, tout en insistant sur la nécessité de le faire en lien avec les associations. «Il ne suffit pas juste de mettre des ressources en ligne pour pouvoir appréhender les questions d’intimité, de violences, de rapports de genre, d’égalité, il faut un accompagnement», ajoute Sarah Durocher. La diffusion de «ressources pédagogiques pour faciliter la mise en œuvre des séances d’éducation à la sexualité par les équipes pédagogiques» est également au programme de ce plan. Du réchauffé puisque des guides à destination des personnels ont déjà été élaborés en 2017, puis en 2019, avant d’être actualisés en 2022 par Pap Ndiaye.
Autre piste du gouvernement : la mise à profit du temps périscolaire et extrascolaire (dans les centres de loisirs par exemple). «Je vais travailler avec les collectivités locales afin que des séances de sensibilisation soient introduites pendant les temps périscolaires», a annoncé Isabelle Lonvis-Rome au JDD. «Ça ne répond pas à notre exigence, ça ne répond pas à la loi, tous les élèves n’assistent pas au périscolaire», pointe Sarah Durocher. Le ministère délégué à l’Egalité précise à Libération que ce temps périscolaire sera un bonus, un complément à l’application de la loi. Marchant sur des œufs face à un sujet inflammable, pas question pour eux de parler dans ce contexte d’éducation à la sexualité mais de diffusion de la «culture de l’égalité». Marion Athiel appelle de son côté à s’appuyer sur des initiatives ayant fait leurs preuves : «On a déjà expérimenté, par exemple, avant de faire les séances des stands pour expliquer aux parents ce qu’on va faire, on voit que ça fonctionne, on travaille sur leurs idées reçues, on dédramatise.» Des expertises de terrain encore trop souvent ignorées à l’heure des arbitrages gouvernementaux.
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