Par Anaïs Coignac Publié le 16 mars 2023
On pense souvent que les hommes peuvent être père jusqu’à un âge avancé. Pourtant, leur fertilité baisse avec le temps. Et la paternité tardive ne fait pas forcément envie à grand monde.
« Dépêche-toi ! » Cette petite voix, Vincent (certaines des personnes interrogées ont requis l’anonymat), 34 ans, professeur dans le Var, l’a entendue de plus en plus distinctement ces dernières années. Une alarme intime d’abord. « Je ressens une urgence car j’aspire profondément à être papa, j’ai ça dans le cœur », explique ce récent célibataire. « A 25-30 ans, j’avais beaucoup d’angoisses et la peur de les transmettre. Aujourd’hui je suis davantage prêt », estime-t-il. A ce timing personnel s’ajoutent quelques catalyseurs : les copains d’enfance devenus pères, les sous-entendus du sien – « quand tu seras un homme, Vincent » –, la confrontation avec la jeune génération lors d’une reprise d’études, ou la calvitie naissante. Par ailleurs, son attirance pour les femmes beaucoup plus âgées « qui ne sont pas dans les mêmes périodes de vie » n’aide pas. « Je prends conscience que le temps file », lâche cet « hypocondriaque », qui surveille son hygiène de vie mais n’a pas fait de test de fertilité. « J’ai une petite angoisse d’être stérile. »
Injonction sociale, processus psychologique, ultimatum physique, l’horloge biologique était jusqu’à présent le tribut des femmes, leur « popote interne », dixit l’humoriste Guillermo Guiz dans son sketch L’Enfant surprise. En ligne de mire : la baisse de la fertilité et le couperet de la ménopause. Les hommes, eux, semblaient préservés de ces considérations. Mais le recul de l’âge du premier enfant, les problèmes d’infertilité partagés à 50 % dans le couple et la chute de moitié de la quantité de gamètes dans le sperme en un demi-siècle les ont amenés à s’interroger. L’homme fertile à tout âge : mythe ou réalité ?
« C’est une idée reçue, véhiculée par les exemples médiatisés de paternités tardives », tranche Geoffroy Robin, gynécologue et andrologue au centre d’assistance médicale à la procréation (AMP) de Lille. Il rappelle que l’homme est sujet à l’andropause, une « baisse progressive de la testostérone », qui devient « significative à partir de 50 ans ». Or, celle-ci a un impact sur le délai de conception et le risque de fausse couche, « indépendamment de l’âge de la femme, mais avec un surrisque si elle a plus de 40 ans ».
Des risques pour le fœtus
En 2001, une étude d’Elise de La Rochebrochard, de l’Institut national de la santé et de la recherche médicale, précisait : « Pour l’homme, la fertilité est maximale à 30-34 ans, puis elle diminue lentement. A 55-59 ans, l’homme a une fertilité deux fois plus faible. » La chercheuse relevait également pour les pères âgés de plus de 40 ans « une augmentation du risque de maladies génétiques » de leur progéniture qui, pour certaines pathologies, est « de même ampleur que le risque de trisomie 21 observé chez les enfants dont la mère a un âge compris entre 35 et 39 ans ». Le docteur Robin reçoit des patients de plus de 55 ans persuadés que l’infertilité du couple vient de leur compagne, « puisqu’ils ont déjà eu des enfants d’une précédente union ». Il plaide pour « une information loyale et collective » du grand public. « Sans inquiéter !, tempère Florence Boitrelle, présidente de la Société d’andrologie de langue française (SALF). Les risques restent minimes en valeur absolue. Il s’agit surtout des hommes de plus de 60-70 ans. »
Parfois, l’alarme sonne plus tôt, dès la quarantaine. Denis Meyer, 47 ans, photographe entre Paris et le Morvan, a vu, en quatre ans, sa quantité de spermatozoïdes chuter de 8 à 6 millions par millilitre, soit 25 % de moins – le risque d’infertilité commence sous la barrière des 10 millions. « Le gynécologue m’a dit que c’était dû à l’âge, mais qu’il m’en restait quand même assez, relate cet indépendant, en couple depuis trois ans avec Maria, une musicienne et photographe de 45 ans. Entre 40 et 45 ans, on perd beaucoup de choses. C’est comme le fait de devenir presbyte. » En 2018, son désir de paternité, présent depuis la vingtaine, s’est heurté à la découverte d’une pathologie génitale, la varicocèle, et aux mauvais résultats d’un testicule opéré à l’âge de 10 ans. Traité depuis pour cette maladie, Denis dope sa fertilité par des méthodes douces : compléments alimentaires, nourriture biologique (éviter les perturbateurs endocriniens), arrêt de l’alcool et du tabac. « Ce serait plutôt le moment d’être grand-père », s’avise le quadragénaire, qui observe aussi « de plus en plus d’hommes à cheveux blancs à la sortie de l’école ». Le couple, qui a traversé deux fausses couches, se lance en Espagne pour une ultime tentative. Avec don d’ovocytes cette fois car, injustice de l’âge, ceux de Maria sont devenus « moins productifs ». « C’est la dernière limite pour nous », conclut l’aspirant papa.
« L’infertilité masculine reste peu explorée. Ce n’est pas un marché porteur » – Florence Boitrelle, présidente de la Société d’andrologie de langue française
Florence Boitrelle se félicite de voir débarquer « depuis cinq à dix ans » des hommes avec leur partenaire dans son cabinet du centre AMP de Poissy (Yvelines). « Avant, ils étaient décalés, ils venaient parce que leur compagne le leur demandait. Aujourd’hui, ils s’impliquent », convient l’andrologue, qui assène : « La charge mentale doit être partagée, depuis les tâches ménagères jusqu’à la fertilité. » Encore faut-il intéresser les laboratoires pharmaceutiques aux traitements masculins. Pour l’heure, comme pour la contraception, le parcours médical ainsi que les traitements de procréation médicalement assistée (PMA) reposent essentiellement sur la femme. « L’infertilité masculine reste peu explorée. Ce n’est pas un marché porteur », déplore la présidente de la SALF, qui souhaiterait intéresser les hommes bien en amont. « Les centres seraient débordés, mais on résoudrait pas mal de choses ! » En France, l’autoconservation de spermatozoïdes peut être réalisée jusqu’à 45 ans, et utilisée jusqu’à 60 ans. Toutefois, à la différence des Etats-Unis, l’initiative n’est pas dans l’air du temps.
Les témoins interrogés dans le cadre de cette enquête – âgés de 31 ans à 54 ans – s’estiment déjà tous « vieux » pour être père. Ils sont pourtant bien loin des paternités très tardives rapportées par les médias, à l’image d’un Charlie Chaplin, père à 73 ans pour la onzième fois, ou d’Yves Montand qui le devint à 67 ans, trois ans avant son décès. En s’engageant avec Myriam, 39 ans à l’époque, Frédéric, 51 ans de son côté, savait que le sujet était « sur la table ». Elle avait un réel désir de maternité, lui avait déjà deux enfants : une adolescente et un fils majeur. « Je me suis beaucoup questionné », insiste ce correcteur free-lance marseillais. Médicalement d’abord : « Mes résultats étaient plutôt bons, pour un mec de mon âge. »Avec ses enfants, ensuite, dont il craignait la réaction. Il redoutait, de plus, « d’être grand-père avant d’être à nouveau père ». En thérapie aussi, « pour prendre de la distance ». Finalement, le couple se lance. Deux mois plus tard, Myriam tombe enceinte. Ils accueillent leur fils en 2020, à 40 et 52 ans. « J’avais envie de vivre ça avec elle, à un moment de ma vie où j’ai plus de temps, moins de stress. A moi de tout faire pour ne pas devenir un vieux croûton », lance le Marseillais, qui sait aussi qu’il n’aura « pas une vie complète » avec lui.
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