par Christian Lehmann, médecin et écrivain publié le 21 mars 2023
Ce mercredi 15 mars a eu lieu la première journée de sensibilisation internationale au Covid long, ce syndrome protéiforme qui touche dans le monde des millions de personnes présentant, au-delà de la phase aiguë, une altération de leur état de santé après un ou plusieurs épisodes de Covid.
La maladie Covid est encore trop récente pour en cerner complètement les mécanismes et l’évolution, mais dès 2020, des patients se sont plaints, dans les mois qui suivaient un Covid, de divers troubles comme la persistance de la perte du goût ou de l’odorat, un brouillard mental tenace avec difficultés à former les mots, une fatigabilité extrême à l’effort. L’absence de définition précise de ce syndrome émergent n’a pas aidé la prise en charge de certaines patientes, (souvent des femmes) pas plus que le déni véhiculé par certains médecins, et non des moindres, qui ironisaient sur les Covid longs, dont ils dressaient le profil comme au XIXe siècle on glosait sur les hystériques.
Dans ce contexte, l’interview du Professeur Eric Caumes dans Doctissimo en ce 15 mars est une véritable prouesse, sous le titre : «Le Covid long est en réalité un syndrome de détresse corporelle». Eric Caumes est ce chef de service des pathologies infectieuses à l’hôpital de la Pitié qui s’est fait connaître pendant la pandémie en parlant de «grippounette», puis en considérant à l’orée de la seconde vague que laisser les jeunes se contaminer entre eux réglerait la question du Covid par l’immunité collective, avant d’émettre des doutes sur la technologie ARN en décembre 2020, en expliquant être prêt à s’administrer le vaccin Covid chinois les yeux fermés si l’ambassade de Chine le lui proposait. Comme l’exprime Eric Favereau avec un sens élégant de la litote dans un portrait en novembre 2020 : «Il aime parler, tant pis s’il se retrouve parfois dans un équilibre instable. Il s’en moque, même. Dans cet univers de personnalités remplies de certitudes, lui n’a aucun mal à reconnaître que “des bêtises”, il a pu en dire….Selon une expression qui lui colle à la peau, il n’a pas sa langue dans sa poche. “En plus, cela s’aggrave avec l’âge”, ajoute-t-il dans un sourire.» Et c’est vrai, raconter n’importe quoi avec aplomb pendant une pandémie, c’est tellement amusant.
Tai chi chuan, méditation en pleine conscience
Le jour donc où les malades du Covid long essaient de faire entendre leur voix, Eric Caumes distingue dans Doctissimo trois types de patients : ceux qui présentent des séquelles cliniquement quantifiables après un Covid, comme une fibrose pulmonaire nécessitant une oxygénothérapie, ceux dont la récupération post-Covid est un peu plus longue que la moyenne, et enfin ceux «qui se plaignent de symptômes très divers (cardiaques, respiratoires, neurologiques digestifs, ….) après un Covid prouvé ou hypothétique, ou parfois après une vaccination, mais chez lesquels l’examen clinique et les examens complémentaires ne montrent rien. Ces personnes (et certains médecins) estiment alors qu’elles ont un Covid long. Mais pour ma part (et je ne suis pas le seul), j’estime qu’il s’agit plutôt d’un syndrome de détresse corporelle.» Sans surprise, le profil des patients atteints tend à les psychologiser : «Ces patients sont souvent des femmes, on observe un ratio de deux femmes pour un homme. Ce sont des personnes jeunes, qui ont très peu de risques de faire un Covid grave. Quand on étudie leur profil, ce sont souvent des personnalités anxieuses, perfectionnistes, avec une tendance au catastrophisme, avec une hyperfocalisation sur des symptômes fluctuants, qui disparaissent à la distraction.»
Eric Caumes décrit ensuite la prise en charge préconisée pour ces patients dans l’étude Casper, avec thérapies cognitivo-comportementales, tai chi chuan, méditation en pleine conscience, en s’appuyant sur une étude de l’équipe du Pr Lemogne, toujours à l’Hôtel-Dieu, qui «a prouvé que ce que l’on appelle Covid long était associé non pas au fait d’avoir eu le Covid mais au fait d’avoir pensé qu’on l’avait eu.» Cette étude, vivement critiquée dès sa parution du fait d’erreurs méthodologiques confondantes, a participé à la psychologisation du Covid long en France au sein d’instances comme le Covars (comité de veille et d’anticipation des risques sanitaires) : «Le débat scientifique existe aussi quant à l’imputabilité des symptômes vis-à-vis de Sars-Cov-2 ou d’un autre agent déclencheur. Des travaux de recherche sur le Covid long devraient permettre de mieux approcher la complexité des syndromes post-infectieux en général, améliorer la prise en charge de ces troubles dits “fonctionnels” mal connus et peu étudiés.» Se basant sur les conclusions d’une étude française à la méthodologie défaillante, critiquée par des chercheurs français comme internationalement, Eric Caumes conclut ainsi : «Ces patients ont en réalité besoin d’une psycho-éducation, avec une prise en charge de leur anxiété ou de leur syndrome dépressif lorsqu’ils sont associés.» On comprend à travers ses explications que le Pr Caumes, qui a utilement ferraillé contre les charlatans ayant fait business de la maladie de Lyme, cherche à éviter que des patients atteints de signes fonctionnels liés à l’anxiété ne se fassent embringuer dans une errance diagnostique et thérapeutique. Mais ce faisant, il empile des certitudes dont les conséquences sont aussi néfastes.
Dans un podcast en quatre épisodes de la Série documentaire sur France Culture : «les Fantômes de l’hystérie – histoire d’une parole confisquée», Pauline Chanu et Annabelle Brouard décortiquent la manière dont notre médecine contemporaine hérite des conceptions racistes et misogynes de l’hystérie, avec une forte tendance à la pathologisation psychiatrique des maladies féminines. En se basant sur une seule étude à la méthodologie problématique, Eric Caumes trie les patients atteints de Covid long, mettant de côté, magnanime, ceux chez qui des signes cliniques objectifs, comme une amputation de la capacité vitale respiratoire ou de la fraction d’éjection myocardique, permettent d’imputer leurs souffrances au Covid, rejetant ceux, ou plutôt celles, dont les symptômes, aussi invalidants soient-ils, sont de l’ordre du «fonctionnel», non prouvable par un examen complémentaire et ce, alors qu’à l’étranger on met en évidence peu à peu les désordres neurologiques, immunitaires, vasculaires liés au Covid long.
Internationalement, et malgré une tendance mondiale à l’invisibilisation du Covid de plus en plus considéré comme un élément du décor auquel il faut s’habituer, la parole des patients et des patientes atteints de Covid long n’est pas systématiquement mise en doute de cette façon. Très tôt, en Grande-Bretagne, The Guardian leur a donné la parole, et parmi eux à des chercheuses, des professeurs de médecine, atteints du Covid long, permettant de mesurer l’étendue des dégâts causés par l’épidémie à long terme, et refusant de se contenter de considérer les symptômes allégués comme résultant de la simulation ou d’une pathologie psychiatrique anxieuse. De nombreuses célébrités évoquent leur Covid long, parmi lesquelles des acteurs, des chanteurs, des sportifs de haut niveau. En Suisse, l’ex-attaquant du PSG Jean-Kevin Augustin détaille son calvaire à cause d’un Covid long depuis mars 2020, pendant lequel son «corps [lui] a échappé», Et à l’international, à l’Organisation mondiale de la santé, de très nombreux instituts de recherche, ainsi que la presse financière, s’inquiètent des conséquences déjà visibles du Covid long sur l’état de santé global des populations et de son retentissement économique sur leur capacité de travail.
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