par Clémence Mary publié le 22 mars 2023
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«La première fois, j’avais 5 ou 6 ans. En grimpant à la corde à nœuds, en cours de sport. Je croyais être la seule, mais si ça se trouve on était la moitié de la classe !» Au début de We Are Coming, documentaire bricolé et cousu main de Nina Faure, en salles le 22 mars, une femme, sourire aux lèvres et la quarantaine bouclée, raconte son premier souvenir d’orgasme. Des années avant la vague MeToo, c’est en bavardant entre copines que la réalisatrice montpelliéraine s’en est rendu compte : pourquoi connaît-on si mal le corps féminin, et a fortiori son épicentre vaginal et clitoridien, à la forme florale caractéristique ? D’émissions en manuels de biologie, le refrain est asséné tel un mantra : le plaisir féminin serait plus mystérieux, passif, psychique, circonscrit à quelques zones et plus rare que son homologue masculin. D’après une vaste étude américaine de 2017, les moins bien loties en matière de jouissance seraient les femmes hétérosexuelles, loin derrière les lesbiennes ou bisexuelles et les hommes. Pourquoi continuer alors à réduire la sexualité à la pénétration et à des «préliminaires» bien mal nommés ?
Par cette (petite, mais centrale) porte de l’intimité sexuelle, la trentenaire remonte le fil de cette révolution, auquel elle contribue en libérant et enregistrant ces paroles jusque-là taboues. 1998 : année de mise en circulation du Viagra et première anatomie exacte du clitoris. 1973 : première parution de Notre corps, nous-mêmes, récit collectif qui a fait date en documentant tous les tabous liés à la sexualité féminine. «Ce livre a été un choc. Ces témoignages ne disaient rien d’autre que ce qu’on constate aujourd’hui !» Face à l’actualité du texte, Nina Faure et sa bande décident de recommencer l’aventure en diversifiant les profils de femmes rencontrées.
Sandrine Rousseau, Caroline de Haas ou Juliet Drouar
Le CNC, qui refuse d’abord plusieurs fois, accepte enfin péniblement de financer une partie du film. Parmi les motifs invoqués, le film ne serait pas représentatif de toutes les femmes car certaines aiment la soumission, raconte la réalisatrice. «C’est un miracle, et grâce à 600 contributeurs, que le film ait pu voir le jour et sortir dans une quinzaine de cinémas pour l’instant, dont l’Espace Saint-Michel à Paris», résume Nina Faure qui se réjouit des débats que le film a commencé à soulever en salles.
L’enquête, qui brasse large, la fait croiser une émouvante Sandrine Rousseau en 2018, témoignant des conséquences monumentales de sa prise de parole dans l’affaire Baupin sur sa vie à elle. Ou Caroline de Haas, expliquant la différence de nature entre drague – créer un moment sympa – et harcèlement – faire pression en suscitant une situation désagréable. Et bien d’autres, comme l’artiste et militant queer Juliet Drouar, ou les premières autrices de Notre corps, nous-mêmes, et quelques hommes. A tous ceux qui doutent du sérieux de ces préoccupations, qui trouvent «qu’elles exagèrent» ou qui se sentent menacés-accusés-rejetés : courez en salles !
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