Par Sylvie Lecherbonnier Publié le 19 mars 2023
Alors que le nombre d’élèves frappés par des troubles anxieux augmente, infirmières, conseillers d’éducation, enseignants et chefs d’établissement racontent leurs efforts pour mettre en place un accueil personnalisé et éviter la déscolarisation, et leurs difficultés.
« On bricole », « on patauge », « on bidouille ». Que faire quand un enfant ou un adolescent ne peut plus aller à l’école car l’angoisse est trop forte, quand les parents appellent pour dire qu’ils n’ont pas réussi à le faire sortir de sa chambre ou qu’ils sont arrivés devant le collège ou le lycée mais ont dû faire demi-tour, leur progéniture étant dans l’incapacité de franchir les grilles ? Les professionnels de l’éducation se posent la question régulièrement, avec désarroi.
Si aucune statistique n’est produite par l’éducation nationale, tous constatent une augmentation depuis quelques années du refus scolaire anxieux, autrefois appelé « phobie scolaire », chez leurs élèves de tous âges, tous milieux sociaux et niveaux scolaires. « Au moins un ou deux par classe », estiment des chefs d’établissements.
Pour les infirmières, CPE, psychologues, enseignants…, la pandémie de Covid-19 n’y est pas pour rien et ces phobies représentent une facette du mal-être actuel des jeunes, documenté par les études de l’agence Santé publique France : un sur cinq souffre aujourd’hui de troubles dépressifs. « Certains élèves ont aimé rester chez eux. Ils se sont enfermés dans leur tête et dans leur maison et ne se sont réellement jamais déconfinés », analyse Carole Zerbib, proviseure adjointe du lycée Voltaire, à Paris, et membre du syndicat SNPDEN-UNSA comme les autres chefs d’établissement interrogés. « Au moment de l’adolescence se joue la confrontation avec les autres, l’affirmation de soi. Or cette génération a vécu loin des autres et il est difficile pour certains de revenir dans ce collectif qu’est l’école », abonde Dominique Faure, proviseure d’un lycée près de Nantes.
Le diagnostic n’est pas toujours simple à poser tant les causes sont multiples. Le harcèlement ou des angoisses de performance peuvent venir détruire le goût de l’école, même en primaire. Les équipes s’attachent néanmoins à repérer le plus tôt possible les premiers symptômes pour éviter l’engrenage qui mène à la déscolarisation.
L’anxiété se matérialise d’abord par des maux de ventre, des crises d’angoisse, des absences perlées. « Soit ça passe, soit ça casse, remarque Sandie Cariat, infirmière scolaire dans l’académie de Montpellier et membre du SNICS-FSU. Soit l’élève arrive, avec de l’aide, à gérer ses crises d’angoisse, soit il va s’absenter un jour puis deux, puis trois jusqu’à ne plus pouvoir revenir. » Tout manque d’assiduité doit être signalé au rectorat voire au procureur pour les moins de 16 ans.
Maintenir le lien
Les personnels tentent alors de mettre en commun leurs compétences et de proposer un « projet d’accueil individualisé »adapté. « Nous sommes très très souples pour réussir à trouver la formule qui permettra à l’élève de rester en cours », note Florence Vincent, principale d’un collège dans l’Oise. « C’est du cousu main », abonde Laurence Colin, proviseure d’un lycée professionnel à Arcachon (Gironde). Ici, l’élève viendra seulement deux heures le matin car il ne supporte plus la cantine. Là, il sera autorisé à porter un casque pour s’isoler du bruit.
Ces emplois du temps aménagés possèdent néanmoins leurs limites. « Les élèves se sentent décalés. Quand ils reviennent ainsi, ils ont l’impression de ne plus être dans le bain et ont encore moins envie de revenir », constate Valérie Wolff, infirmière scolaire à Molsheim (Bas-Rhin). Laurence Colin s’en rend compte : « Les élèves n’arrivent pas toujours à faire leur part du contrat, surtout quand ils n’habitent pas à proximité. » « Le temps de la réparation et du soin n’est malheureusement pas celui de l’école », se désole Dominique Faure.
Le plus important reste de maintenir le lien avec l’élève comme avec sa famille. « Je pourrais proposer plus facilement un accès au Centre national d’enseignement à distance, mais la vocation d’un élève est d’être au sein de l’établissement avec des jeunes de son âge et pas enfermé chez lui », pointe Carole Zerbib.
« On tente de créer un maillage autour des élèves », relate Eve Goderniaux, psychologue de l’éducation nationale à La Rochelle. Elle peut ainsi proposer aux adolescents de les rencontrer au centre d’information et d’orientation, un lieu neutre.
Petites structures dédiées
La pénurie d’infirmières et de médecins scolaires, tout comme les délais de prise en charge dans les centres médico-psychologiques ou en psychiatrie, n’aident pas à enrayer les refus scolaires anxieux. Cet accompagnement personnalisé demande du temps et des moyens que les équipes éducatives n’ont pas toujours. Valérie Wolff le déplore : « On fait tout pour faire passer les cours à ces élèves, pour montrer qu’on ne les oublie pas, mais les journées sont denses par ailleurs. »
Quand cela est possible, nouer des partenariats étroits entre la famille et les équipes éducatives et soignantes se révèle plus efficace. « Nous avons besoin de structures adaptées qui prennent le relais », assure Valérie Wolff.
Elle en a constaté la pertinence à la maison des adolescents de Strasbourg où elle a travaillé. La structure a mis en place un dispositif de soin-étude baptisé « brick école ». « Ces initiatives arrivent à faire revenir les ados à l’école. Elles fonctionnent comme un sas pendant lequel le jeune se reconstruit, constate l’infirmière scolaire. Il faudrait ce type de petites structures partout sur le territoire. Les élèves de Molsheim n’iront pas jusqu’à Strasbourg, pourtant à une vingtaine de kilomètres. »
Malgré les efforts, il n’est pas rare que l’établissement scolaire finisse par perdre la trace de ces élèves, lorsqu’ils sont déscolarisés depuis plusieurs mois, voire plusieurs années. Carole Zerbib regrette ces difficultés de suivi : « Certains élèves sont scolarisés dans des établissements de soins. Ils poursuivent leur scolarité ainsi et sont inscrits chez nous. D’autres n’ont pas de place et je ne sais pas ce qu’ils deviennent. »
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