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mercredi 22 mars 2023

La loi, c'est la loi Contre le «mercenariat médical», François Braun ne veut rien lâcher

par Nathalie Raulin   publié le 20 mars 2023

En dépit de la motion de censure transpartisane qui menace le gouvernement, le ministre de la Santé réaffirme sa volonté de plafonner la rémunération des médecins intérimaires à partir du 3 avril. Dans le même temps, la revalorisation des gardes hospitalières devrait être reconduite jusqu’au 31 août.

Tordre le cou aux doutes qui reviennent en force. Fait exceptionnel, le cabinet du ministre de la Santé, François Braun, a organisé vendredi au pied levé un point d’étape à destination des médias. Objectif ? Réaffirmer la détermination du ministre d’«en finir avec les médecins mercenaires» et donc de mettre en œuvre la loi Rist sur le respect du plafond de rémunération de l’intérim médical selon le calendrier annoncé. C’est répété : à compter du 3 avril, tout établissement public de santé qui acceptera de verser aux médecins intérimaires des rémunérations supérieures au plafond réglementaire de 1 170 euros brut pour une mission de vingt-quatre heures de travail continu ne sera plus remboursé par le comptable public.

L’initiative en dit long sur le stress qu’a entraîné avenue de Ségur le dépôt d’une motion de censure transpartisane post-49.3 sur la réforme des retraites. Car il n’en fallait pas davantage pour relancer les paris sur la longévité du gouvernement, et singulièrement celle du ministre de la Santé. Dans de telles circonstances, François Braun disposait-il encore de suffisamment de la latitude pour imposer dans très exactement deux semaines une réforme à très haut risque pour l’accès aux soins ?

«A partir du 3 avril, la loi sera respectée»

Selon son cabinet, François Braun a l’intention de prendre la parole «lundi ou mardi» sur le sujet, une manière de réduire à une simple parenthèse l’épisode de la motion de censure. Preuve qu’il n’en est pas à faire ses cartons, le ministre a reçu vendredi les entreprises de travail temporaire, d’intérim médical et les sociétés de placement de médecins remplaçants, pour les mettre en garde contre «des déviances dans leur communication», fait savoir son entourage. «On voit circuler sur les boucles mails de leurs filiales à destination des intérimaires des messages de nature à discréditer les mesures que l’on porte. Ils suggèrent de contourner la loi ou de ne pas la respecter»,dénonce-t-on au cabinet du ministre. «[Les entreprises] vont devoir comprendre qu’à compter du 3 avril, la loi sera respectée. De même, elles vont devoir mettre fin aux pratiques de surfacturation de frais de déplacement ou de bouche remboursés aux intérimaires.»

L’enjeu est d’importance : il s’agit de convaincre l’ensemble des médecins intérimaires qu’à compter du 3 avril, ils ne trouveront plus aucune offre d’emploi rémunérée au-delà du plafond réglementaire. Ni dans le public ni dans le privé. «La Fédération des établissements hospitaliers et d’aide à la personne privés non lucratifs et la Fédération de l’hospitalisation privée se sont engagées à respecter le plafond réglementaire pour l’intérim, souligne le cabinet du ministre. Ils se sont également engagés à mettre des personnels médicaux à disposition des établissements publics, s’ils sont dans l’impossibilité de remplir leurs lignes de garde.»

Une «mauvaise plaisanterie»

Malgré ces annonces, nombre d’intérimaires peinent à croire au grand saut. De fait, 30 % des postes de praticiens hospitaliers titulaires étant aujourd’hui vacants, nombre d’hôpitaux publics ont besoin d’eux pour boucler les tableaux de garde, notamment dans les services contraints d’être sur le pont en continu comme les urgences, l’obstétrique, l’anesthésie ou la gériatrie. Moins attractifs que les autres, les établissements de santé périphériques ou ruraux sont même prêts à payer cher pour s’assurer de leur venue : de 1 200 à 1 800 euros net pour vingt-quatre heures en temps normal. Plus de 2 000 euros net en période de fête ou de tension, selon plusieurs directeurs d’hôpitaux et de commissions médicales d’établissements interrogés par Libération. «Ça va jusqu’à 5 000 ou 6 000 euros les vingt-quatre heures !», assure l’entourage de Braun, désormais prompt à charger la barque pour légitimer sa croisade. Pour mémoire, un praticien hospitalier en deuxième partie de carrière touche, lui, de l’ordre de 700 euros pour vingt-quatre heures de garde.

Las, pour nombre d’intérimaires, le plafond de rémunération fixé par la loi relève de la «mauvaise plaisanterie» : «La plupart des 1 000 adhérents de mon syndicat disent qu’ils prendront des vacances prolongées à partir d’avril», indique Eric Reboli, président du Syndicat national des médecins remplaçants des hôpitaux. «Il est inenvisageable pour eux de faire plusieurs centaines de kilomètres pour aller tenir une garde de vingt-quatre heures dans des conditions souvent dantesques pour 946 euros net, sans frais de déplacement ni de logement.»

«Un jeu très dangereux» du gouvernement

Le blocage était prévisible. Pour le ministère, il s’agit d’éviter qu’il ne tourne à la crise sanitaire. Dès janvier, consigne a été passée aux agences régionales de santé (ARS) de cartographier les «points critiques» sur le territoire et de mettre les acteurs de santé, public et privé, du territoire en ordre de bataille pour remédier à un éventuel retrait du marché des médecins intérimaires. Consigne est donnée aux CHU et groupements hospitaliers territoriaux de prêter main-forte le cas échéant aux petits établissements en difficulté. En parallèle, les directions hospitalières mettent la pression sur leurs intérimaires réguliers pour les inciter à réintégrer l’hôpital public. Quitte à leur proposer des conditions salariales très avantageuses, via les primes de solidarité territoriale ou l’octroi d’un statut de praticien contractuel.

Mi-mars, un épais brouillard plane toujours sur les forces en présence. «Le gouvernement s’est lancé dans un jeu très dangereux»,s’inquiète la docteure Anne Geffroy-Wernet, présidente du Syndicat national des praticiens hospitaliers anesthésistes-réanimateurs élargi. «Vouloir plafonner les salaires de l’intérim sans avoir au préalable revalorisé le statut des praticiens hospitaliers, cela relève du coup de poker. Les intérimaires pensent que cela ne va pas tenir, ce qui me paraît assez probable. Il suffirait qu’il y ait un mort aux urgences, pas un papy de 95 ans, mais un trentenaire victime d’infarctus ou un enfant abandonné dans un coin. Le gouvernement n’a pas forcément besoin de cela en ce moment… Bien sûr, s’il fait un geste pour les praticiens hospitaliers, on passerait le cap plus facilement.»

Message reçu cinq sur cinq avenue de Ségur. Selon nos informations, sauf coup de théâtre institutionnel, Braun devrait officialiser en début de semaine la bonne nouvelle déjà transmise aux ARS : prévue pour s’achever le 31 mars, la majoration de 50 % de l’indemnisation des gardes de nuit et de week-end des médecins hospitaliers, mise en place en juillet pour faire face à la crise des urgences, va être prolongée jusqu’au 31 août. De quoi mettre (un peu) de baume au cœur aux guerriers de l’hôpital public.


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