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mercredi 22 mars 2023

Chronique «Aux petits soins» Quand les pouvoirs publics se montrent très complaisants avec les labos pharmaceutiques

par Eric Favereau  publié le 21 mars 2023

Dans «Chantage sur ordonnance», un livre au scalpel, la journaliste Rozenn Le Saint décrit les relations entre les pouvoirs publics et les firmes pharmaceutiques. Des relations qui coûtent une fortune à l’Etat.

En voilà une surprise (ou un scoop)… Alors que l’ancienne ministre de la Santé Agnès Buzyn avait la réputation d’être proche de l’industrie pharmaceutique, elle fait des déclarations pour le moins directes sur ce sujet dans un livre tout juste paru – Chantage sur ordonnance (1). «Quand je vois tous les cadeaux faits à l’industrie pharmaceutique ces deux dernières années, cela me met hors de moi», dit-elle à la journaliste de Mediapart Rozenn Le Saint. Et elle poursuit sans hésiter ses critiques vis-à-vis des firmes comme du président de la République : «J’ai été folle de tout ce qu’ont obtenu les industriels avec ces aides à la relocalisation… Quand je pense à tout ce qu’ils ont gagné avec les vaccins contre le Covid. Ils viennent pleurer auprès de Bercy, font miroiter des créations d’emplois, mettent en avant des investissements dans la recherche et le développement… C’est très dur pour le ministre de la Santé de résister.»

Des propos importants car ils pointent en détail les relations déséquilibrées entre les firmes et l’Etat : ce dernier ne faisant guère son travail de contrepoids, se laissant ainsi convaincre sans trop résister devant les stratégies des laboratoires pour imposer leurs médicaments comme leurs prix. Là réside tout l’intérêt de ce livre : plutôt que de dénoncer rituellement la cupidité de ces industriels (dont le métier est quand même de faire des affaires), Rozenn Le Saint décrit la complaisance du pouvoir politique actuel, qui coûte particulièrement cher à nos finances publiques.

Accès précoce aux médicaments

Pour décrire ce jeu perdant-perdant, retenons deux éléments même si ce livre en décrit bien d’autres. Attardons-nous en premier lieu sur ce que l’on appelle l’accès précoce aux médicaments. C’est, depuis quelques années, la grande stratégie des labos : il s’agit de surfer sur l’air du temps qui veut que dès qu’un début de médicament semble apporter une amélioration thérapeutique, il faut au plus vite le rendre disponible au patient. Leur santé n’est-elle pas en jeu, voire leur vie ? Les industriels relayent, très habilement, cette stratégie par les réseaux sociaux et les associations de malades, qui hurlent au scandale si l’arrivée du médicament traîne. De plus, les industriels s’appuient sur des boîtes de conseil qui alimentent ce débat public par des études qui stigmatisent la «bureaucratie française».

Ainsi, ces dernières années, Iqvia – spécialiste de la gestion des données de santé –, rend régulièrement publiques des études sur le temps que met un médicament pour être disponible, entre sa découverte et sa mise sur le marché. Ces études, payées par un groupement de l’industrie pharmaceutique européenne, ont réussi à imposer l’idée que la France lambine, et qu’il ne faut pas moins de 527 jours entre la découverte et la mise sur le marché. «Ce chiffre avancé est une réussite de communication parfaite, c’est repris partout,» explique Jean-Patrick Sales, le vice-président du Comité économique des produits de santé – structure qui fixe les prix des médicaments. Dès lors, pour l’opinion, il faut accélérer. Or ce chiffre est inexact : il est de 358 jours, selon les travaux de l’Assurance maladie. Car il y a en France‚ la possibilité d’ailleurs très utilisée d’un accès précoce. Et cette procédure en accéléré fait le bonheur des laboratoires puisqu’il est alors le seul à fixer le prix, et les autorités sont obligées de le suivre. Bien souvent ce prix est élevé (on le voit avec les dernières molécules contre le cancer ou contre l’hépatite C) et il va induire une tendance. Ensuite ? Si les qualités du médicament se confirment, alors la firme peut négocier, en force, sans se presser, ce qui est un avantage énorme pour elle. Cette stratégie – on l’a vu –, a rencontré un succès avec le Covid.

«J’ai de très bonnes relations avec les labos»

Mais tout cela n’est possible que par la présence de personnalités «relais» dans l’administration, des personnes «repère», qui oscillent avec beaucoup de régularité entre privé et public. Citons Jean-Marc Aubert, ancien haut fonctionnaire, à la tête de la direction de la recherche, des études, de l’évaluation et des statistiques au ministère de la Santé hier, directeur de la filiale française d’Iqvia aujourd’hui. Mais surtout Grégory Emery, médecin conseiller au cabinet du ministre de 2018 à 2021, puis nommé directeur adjoint à la Direction générale de la santé. Ce dernier reconnaît sans hésiter son rôle : «J’ai de très bonnes relations avec les grands labos comme avec les petits. Cela ne veut pas dire que j’entretiens des relations amicales, mais cela signifie que j’ai les numéros de téléphone de tout le monde.» Comme le note avec bon sens Rozenn Le Saint, «à force de resserrer les liens entre le public et le privé, il devient perméable à la logique de l’industrie». Et Grégory Emery raconte comment il joue ainsi parfaitement son rôle d’interface, ce qui à ses yeux s’est révélé très efficace pendant le Covid, et plus récemment pour faire face aux pénuries croissantes de médicament.

De fait, ce sont ces liens qu’interroge parfaitement ce livre. D’autant que les proximités de l’actuel Président avec les grandes firmes ont toujours étonné. De même que le recours à des cabinets de conseil,comme McKinsey, gros client des grands labos. On ressort un rien ahuri devant la description de ce concubinage. Pas tellement par l’attitude offensive des labos, qui font leur boulot, mais du jeu des autorités publiques qui ne résistent pas, et ne défendent pas davantage leur position, estimant que l’important est de maintenir de bons rapports avec l’industrie. A quel prix ?

Chantage sur ordonnance, par Rozenn Le Saint. Seuil, 220 pp.

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