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samedi 25 mars 2023

En Iran, les hommes enfin solidaires des femmes qui refusent de porter le voile

Par    Publié le 24 mars 2023

Depuis le début du soulèvement qui secoue le pays, le regard masculin sur les femmes qui osent sortir la tête découverte a changé, racontent plusieurs Iraniennes contactées par « Le Monde ».

Dans le nord de Téhéran, le 17 mars 2023.

Pendant des années, Mahnaz (un pseudonyme, comme pour toutes les autres personnes citées dans cet article), une graphiste iranienne de 35 ans, a essayé de s’habituer aux regards réprobateurs des hommes dans la rue, du fait de son foulard, perçu comme pas suffisamment couvrant. Elle s’était résignée à l’idée qu’il n’y avait rien à attendre de ses compatriotes masculins. Mais depuis le début du soulèvement qui secoue l’Iran à la suite de la mort de Mahsa (Jina) Amini, en septembre 2022, pour un voile« mal ajusté », quelque chose de profond a changé dans l’attitude des hommes, affirment Mahnaz et d’autres Iraniennes consultées par Le Monde.

Alors que depuis septembre, de plus en plus de femmes sortent dans la rue les cheveux au vent, la trentenaire dit subir beaucoup moins de commentaires déplaisants de la part des hommes. A la place, « ils me sourient et me remercient pour mon courage, explique Mahnaz. Une fois, j’étais assise sans foulard sur une banquette au centre de Téhéran. Un homme m’a lancé : “Je vous félicite d’être si belle sans ce maudit hidjab. Merci !” »

La manière dont les hommes manifestent leur soutien aux femmes qui osent défier la République islamique et l’obligation du port du voile, principe central du régime de Téhéran, va d’ailleurs au-delà des sourires et des paroles encourageantes. « Dans un Snapp [la version iranienne d’Uber], j’ai demandé au chauffeur s’il préférait que je remette mon foulard », se souvient Mahnaz, qui cherchait ainsi à protéger le conducteur d’une amende et de poursuites judiciaires, ce à quoi s’exposent les propriétaires des véhicules dans lesquels se trouve une femme sans voile. « Le chauffeur, poursuit Mahnaz,m’a répondu : “Absolument pas. Ils peuvent m’envoyer tout ce qu’ils veulent. Vous, les femmes, vous payez le prix de la liberté avec vos vies. Moi, je peux payer une amende. Ce n’est pas grave.” » Depuis septembre 2022, au moins 525 civils ont été tués en lien avec la contestation, inédite dans son intensité et son étendue.

« Au début, j’avais peur »

Ces derniers mois, la police des mœurs, chargée de surveiller la tenue des hommes et des femmes, a disparu des rues et des places iraniennes. Les autorités essayent d’étouffer la révolte des femmes par des moyens détournés, notamment en dressant les gens les uns contre les autres. De plus en plus d’hôtels, de commerces et de restaurants ont été obligés de baisser le rideau parce qu’ils avaient accueilli des clientes sans voile. Fin février, les pharmacies ont reçu l’ordre d’obliger leurs employées à se couvrir leurs cheveux d’un « maghnaé », une sorte de cagoule, encore plus stricte que le foulard. Indignés par cette injonction, des hommes iraniens ont lancé une campagne de solidarité avec les Iraniennes en se faisant photographier, parfois dans les pharmacies, avec une cagoule sur la tête.

A Téhéran, mais aussi ailleurs dans le pays, des femmes sorties sans foulard ont raconté au Monde avoir bénéficié du soutien d’hommes face aux intimidations de partisans du régime. Soheila, habitante de Téhéran qui se rend souvent à Mashhad (ville religieuse et traditionnelle dans le nord-est du pays), témoigne du fait que les hommes sont de plus en plus nombreux à s’habituer à croiser des femmes tête nue. « Au début, j’avais peur quand je sortais dévoilée dans la rue à Mashhad. Mais plus le temps passe, plus je sens que les regards sur moi deviennent moins insistants, plus neutres, voire approbateurs. »

Capture d’écran d’un post diffusé le 12 mars 2023 sur le compte Twitter @Homa2021 montrant des hommes iraniens portant le voile en soutien aux femmes.

Un sociologue vivant à Téhéran, qui préfère rester anonyme, échafaude une explication : « Avant le soulèvement, une femme mal voilée ou sans voile était un objet à la disposition de tous pour toutes sortes de commentaires sexistes. Depuis, le geste de cette femme a changé de signification. Il n’est plus possible de la voir à travers un prisme sexiste, elle incarne désormais une forme de résistance, ce qui force le respect. »

« J’admire leur audace »

Lors de son dernier voyage à Mashhad, Soheila, âgée de 38 ans, a été à plusieurs reprises défendue par des hommes, dont un chauffeur de taxi collectif. « Lorsque je suis montée dans son véhicule, une passagère portant un tchador [l’habit des Iraniennes les plus religieuses et zélées] s’est mise à pester contre moi et a enjoint au chauffeur de me faire descendre, se souvient Soheila. Lui est resté calme et a répondu : “Si cela vous embête, vous pouvez descendre.” Mais la femme en question n’a pas cessé de râler. Finalement, le chauffeur s’est arrêté et lui a dit de sortir. Après il m’a dit : “Les gens comme elle pensent que ce pays leur appartient.” Jusqu’à la fin de la course, son regard et son sourire complices m’ont accompagnée. »

Le soutien aux femmes contestataires se manifeste également dans des cadres plus officiels. A Téhéran, le directeur d’une banque a pris la défense de Soheila face à un client zélé qui se plaignait de la présence à ses côtés d’une femme dévoilée. « J’ai vu le chef qui parlait à cet homme en colère contre moi, et essayait de le calmer. L’homme a quitté le bâtiment encore plus enragé. Puis, le chef de la banque et tous ses collègues hommes m’ont aidée dans mes démarches avec le sourire », explique Soheila.

Depuis les premiers jours du soulèvement, Rambod, 57 ans, glisse toujours un mot d’encouragement aux jeunes femmes osant sortir dans la rue sans foulard. « Je le fais, parce que c’est leur droit naturel de s’habiller comme elles le souhaitent et parce que c’est important qu’elles sachent que j’admire leur audace », explique cet habitant de Téhéran. Pour cet instituteur, le hidjab est « le mur de Berlin de la République islamique d’Iran »« Si cette obligation disparaît, ça sera un pas énorme vers un pays laïc », explique Rambod.

Sanam, une journaliste vivant dans la capitale, aimerait que la solidarité des hommes ne se manifeste pas seulement par des paroles. « Je n’arrête pas de leur dire : “Vous voulez nous soutenir ? Eh bien, cet été, mettez des shorts” ! », un vêtement interdit en Iran.


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