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vendredi 10 février 2023

Prisons : « Loin des fanfaronnades populistes, instaurons au plus vite un numerus clausus “inversé” »

Publié le 9 février 2023

Le chef d’entreprise Sylvain Lhuissier et l’avocat Dominique Raimbourg proposent, dans une tribune au « Monde », que, dans les maisons d’arrêt déjà occupées à 100 %, le condamné le plus proche de la sortie bénéficie d’une mesure d’aménagement afin de pouvoir sortir lorsqu’un nouveau détenu est incarcéré.

Le 5 janvier, le garde des sceaux présentait son « plan d’action pour la justice ». Si le plan est global et ambitieux, les réponses à la surpopulation carcérale ne sont pas à la hauteur. Il y a pourtant un moyen efficace et sans risque pour résorber la surpopulation : le numerus clausus « inversé ».

Le 1er décembre 2022, 72 836 détenus s’entassaient dans les 60 698 places de prison disponibles. Jamais il n’y a eu autant de personnes détenues en France : triste record.

A la suite des émeutes des années 1970, l’administration pénitentiaire a choisi de concentrer la surpopulation dans les maisons d’arrêt, où sont détenues les personnes en attente de jugement et celles condamnées à de courtes peines. Le taux d’occupation moyen y est de 143 % et six prisons sont peuplées à plus de 200 %.

Cette surpopulation a des conséquences dramatiques. Elle contraint les personnes détenues à vivre dans des conditions indignes : elles sont 2 000 à dormir sur un matelas posé au sol, parfois obligées de vivre à trois dans une cellule de 9 à 11 mètres carrés. Nombre de détenus doivent passer vingt-deux heures sur vingt-quatre dans leur cellule, ce qui enlève tout sens et utilité à la sanction.

Ingrédients de la récidive

Cela oblige aussi les surveillants et tous les professionnels intervenant en prison à travailler dans des conditions déplorables et à subir des tensions insupportables. Faire travailler les surveillants dans des conditions aussi difficiles, faire vivre des prisonniers dans une telle promiscuité est indigne de notre République.

C’est aussi réunir les ingrédients de la récidive des presque 100 000 personnes qui sortent de prison chaque année. Par la faute de la surpopulation, ces personnes aux parcours cabossés (précarité, troubles psychiques, isolement…) n’ont pas pu étudier, se former ni travailler en prison et sortent sans projet de réinsertion. Par la faute de la surpopulation, elles ne font l’objet d’aucun suivi ni d’accompagnement à la sortie. Conséquence : 59 % des personnes sortant de prison sont recondamnées dans les cinq ans.

Le plan d’action du garde des sceaux s’appuie sur des propositions qui ont déjà démontré leur incapacité à endiguer la surpopulation. Construire plus de places, c’est ce que nous avons fait sans relâche depuis plus de trente ans. En 1990, l’Etat français disposait de 36 615 places pour 45 420 personnes détenues. En trente ans, le parc pénitentiaire a presque doublé, mais le taux de surpopulation reste inchangé. Tout donne à voir que plus on construit de places, plus on incarcère, et ce sans lien avec une hausse observée de la délinquance.

Le développement des peines alternatives (travail d’intérêt général, bracelet électronique, sursis probatoire…), bien qu’indispensable, ne permet pas à lui seul d’endiguer ce phénomène. Enfin, la proposition de transférer les condamnés des maisons d’arrêt vers les quelques places disponibles dans les établissements pour peine est souhaitable, mais notoirement insuffisant.

La régulation carcérale n’a rien d’impossible, on l’a déjà fait. Il a existé dans le passé un mécanisme de régulation : la grâce collective prononcée par le président de la République. Chaque année jusqu’en 2007, le décret de grâce présidentielle du 14-Juillet permettait la sortie de prison anticipée de plusieurs milliers de détenus très proches de la sortie.

Nicolas Sarkozy a mis fin à cette pratique et la réforme constitutionnelle de 2008 a supprimé le droit de grâce collective du président, qui ne conserve qu’un droit de grâce individuel. Aucun dispositif n’a été créé en remplacement.

Déflation carcérale en Europe

En 2020, pour prévenir les risques de l’épidémie de Covid-19, la population carcérale a été réduite de 13 000 personnes en deux mois : la preuve que l’on peut plafonner à 100 % le taux d’occupation. Les condamnations sont malheureusement remontées très fortement, rendant la situation carcérale de nouveau critique.

La France suit une trajectoire inverse à celle de ses voisins européens, qui ont entamé une décroissance carcérale : en dix ans, l’Allemagne a fait décroître de 13 % sa population carcérale, l’Italie de 12 %, le Royaume-Uni de 10 %… Pendant qu’une majorité des quarante-six pays du Conseil de l’Europe a inversé la courbe pour entamer une déflation carcérale, le « pays des droits de l’homme » resterait bloqué parmi les tout derniers du classement ?

Une solution efficace et sans risque existe pour mettre fin à la surpopulation. Nous demandons la mise en place au plus vite d’un numerus clausus en prison : en cas d’entrée d’un détenu dans une maison d’arrêt déjà occupée à 100 %, le condamné le plus proche de la sortie bénéficie d’une mesure d’aménagement. Les dispositions légales permettant ce numerus clausus ont été détaillées dans un projet de loi déposé au Sénat.

Mieux suivre les sortants

Cette mesure est sans risque pour l’ordre social : elle conduit à avancer de quelques jours seulement la sortie de prison (deux sortants sur cinq ont passé moins de six mois sous écrou). Ces libérations anticipées s’appliquent uniquement en maison d’arrêt et ne concernent donc ni les criminels ni les délinquants condamnés à de longues peines.

L’important n’est pas de garder les personnes détenues jusqu’au dernier jour de leur peine, entraînant surpopulation carcérale et sorties sans suivi. L’important est de se donner les moyens de suivre correctement ces sortants, pour accompagner leur insertion et prévenir la récidive. Le numerus clausus doit s’accompagner d’un renforcement de moyens des professionnels qui permettent ces aménagements : juges d’application des peines, services pénitentiaires d’insertion et de probation (SPIP) et associations d’accompagnement à la réinsertion. Des conventions avec les services de police et de gendarmerie permettront le suivi et le contrôle d’une partie des sortants, dans un objectif de prévention des risques.

Cette réforme n’a rien de laxiste. Elle est nécessaire pour lutter sérieusement contre la récidive, loin des fanfaronnades populistes sur le sujet.

Sylvain Lhuissier est l’auteur de l’essai « Décarcérer » (Rue de l’Echiquier, 2020). Il a cofondé en 2013 l’association Possible pour développer les alternatives à la prison, et participé en 2018 à la création de l’Agence du travail d’intérêt général et de l’insertion professionnelle (Atigip) au sein du ministère de la justice ;

Dominique Raimbourg est avocat honoraire, ancien député et ex-président de la commission des lois, auteur de « Prison. Le choix de la raison » (Economica, 2015), d’une proposition de loi sur la surpopulation carcérale (13 juillet 2010) et du rapport « Penser la peine autrement » (Assemblée nationale janvier 2013).

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