Par Nathaniel Herzberg Publié le 31 janvier 2023
Une équipe américaine a mis en évidence, chez la souris, le rôle de neurones sous la peau et suivi leur chemin jusqu’au centre de la récompense dans le cerveau.
La satisfaction d’un massage, le ravissement d’un attouchement, la douceur d’une caresse… La capacité du toucher à provoquer un plaisir presque immédiat peut sembler une évidence. Pour les neuroscientifiques, pourtant, elle demeure largement mystérieuse. Le chemin qui conduit de notre épiderme au centre de la récompense, au plus profond de notre cerveau, reste semé d’interrogations.
Dans un article publié le 23 janvier dans la revue Cell, une équipe américaine annonce avoir retracé l’itinéraire complet de ce qu’elle nomme « le toucher de plaisir et la réceptivité sexuelle ». Comme toujours, ces travaux pionniers ont été conduits sur la souris. Mais ils affichent la promesse d’une compréhension du phénomène chez l’humain et même de nouveaux traitements et de thérapies manuelles.
Tout a commencé en 2018, dans le laboratoire d’Ishmail Abdus-Saboor, à l’université de Pennsylvanie, aux Etats-Unis. Spécialisé dans l’étude de la douleur, le chercheur avait proposé à une jeune thésarde, Leah Elias, de se pencher sur le rôle de cellules sensorielles spécifiques de la peau nommées Mrgprb4. Mis en évidence dès 2007, ces neurones n’avaient aucune utilité connue.
L’étudiante a entrepris de les étudier par optogénétique. Cette technique délicate mais désormais usuelle consiste à modifier les neurones afin de les activer ensuite par un simple rayon lumineux coloré, et donc d’en suivre les effets. « A notre grande surprise, en activant ces neurones sensoriels sur le dos des souris femelles, elles prenaient une posture de lordose », raconte la jeune chercheuse, désormais postdoctorante à l’université Johns-Hopkins de Baltimore.
Neurones GPR83, chaînon intermédiaire
Habituelle aux yeux des amateurs de yoga et des propriétaires de chats, la lordose, chez les souris, est la position prise par la femelle pour favoriser la pénétration par un mâle. Fallait-il y voir une sensation de plaisir ? L’équipe a poursuivi l’expérience dans une chambre d’étude en activant la lumière sur l’animal, puis l’a extrait de la pièce. Lorsqu’elle l’a fait de nouveau entrer, le rongeur s’est directement dirigé vers le lieu où il avait été éclairé. Un indice sérieux du caractère gratifiant de l’activation de ces neurones.
Interrompue par la pandémie de Covid-19, la recherche a repris en 2021. Cette fois, l’équipe a entrepris de modifier génétiquement les souris afin de supprimer l’activité des neurones Mrgprb4. Non seulement la lordose a disparu mais les femelles sont devenues hostiles aux approches sexuelles des mâles.
Restait alors à tenter de suivre le circuit neuronal vers la moelle épinière puis le cerveau. En utilisant la technique de la photométrie par fibre, il a pu être observé que l’activation des fameux neurones sensoriels entraînait une décharge de dopamine dans les noyaux accumbens, une zone associée à la récompense. Ces cellules inactivées, la dopamine cessait de se décharger.
Enfin, en s’appuyant sur les travaux d’une équipe de Harvard, les chercheurs ont mis en évidence le chaînon intermédiaire, à savoir des neurones de la moelle épinière nommés GPR83. La peau, la moelle épinière, le tronc cérébral, l’aire tegmentale ventrale et les noyaux accumbens : le circuit du plaisir par le toucher apparaît complet.
« Affirmation très anthropomorphique »
Pas si vite, corrige Amaury François, chercheur au CNRS (Montpellier) et auteur d’un article publié dans Science Advances, en juin 2022, qui met en évidence, toujours chez les souris, le rôle d’autres neurones du toucher, associés aux comportements sociaux cette fois.
« C’est un bel article avec deux vraies originalités : l’association de cette nouvelle population de neurones avec un comportement sexuel et le lien entre des neurones du toucher et le relargage de la dopamine, souligne-t-il. Et c’est important. Mais les étapes entre les deux restent à bien définir. Quels neurones intermédiaires, quels récepteurs ? On ne sait pas non plus à partir de quel niveau de stimuli les neurones Mrgprb4 répondent. Sont-ils actifs sur une simple caresse ? Surtout, invoquer le plaisir me paraît excessif. La dopamine, ce n’est pas que du plaisir. Une gratification, oui, mais ce n’est pas la même chose. Si vous êtes poursuivi par un lion et que vous lui échappez, vous allez relarguer de la dopamine : ce n’est pas du plaisir, c’est du soulagement. De même, est-on sûr que la femelle éprouve du plaisir lors de la lordose et pendant la reproduction ? C’est très anthropomorphique comme affirmation. »
L’équipe américaine ne cache pas, du reste, ce tropisme humain. Ishmail Abdus-Saboor souligne la similarité entre les neurones Mrgprb4 de la souris et les cellules sensorielles de la peau des humains nommées C-tactile. Quant aux différentes zones impliquées dans le circuit, de la moelle épinière aux noyaux accumbens, elles sont similaires chez les deux mammifères.
« Conclure que notre circuit du toucher de plaisir suit le même chemin reste une spéculation », indique prudemment Leah Elias. Mais pour elle, « cette recherche met en évidence que le système nerveux périphérique est une cible thérapeutique très puissante et sous-évaluée. On pourrait imaginer des thérapies par le toucher ou même des crèmes contenant de petites molécules appliquées sur la peau, qui auraient un impact sur le cerveau, sans les effets secondaires d’une intervention cérébrale directe ». D’autres chercheurs sont invités à s’y atteler. L’équipe d’Ishmail Abdus-Saboor, elle, continuera à travailler sur les souris.
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