Par Frédéric Lemaître Publié le 10 février 2023
Près d’un quart des 4 millions de praticiens qui exercent dans le pays, rémunérés par l’Etat, n’ont pas terminé leurs études secondaires. Loin des villes, ils soignent leurs patients avec des remèdes « faits maison », perpétuant la médecine traditionnelle.
Puisque la quasi-totalité des habitants du village s’appellent Jiang – ils affirment descendre de Jiang Ziya, un stratège militaire qui a vécu il y a environ 3 000 ans – , le village s’appelle tout simplement « le village des Jiang ». A environ 500 kilomètres au sud de Pékin, ce bourg sans charme de 1 400 habitants, situé dans le nord de la province du Henan, coule des jours aussi paisibles que le majestueux fleuve Jaune qui le borde et charrie des blocs de glace qu’on imagine venir du lointain Tibet.
En cette fin janvier, ni le médecin ni même le fabricant de cercueils ne semblent particulièrement débordés. De quoi accorder un certain crédit à la thèse officielle selon laquelle les déplacements du Nouvel An lunaire n’ont pas provoqué de flambée de Covid-19. Le pic de la première vague serait même passé. « J’ai eu un peu plus de travail en novembre et décembre mais rien d’exceptionnel. Et janvier a été calme », assure le jeune croque-mort, qui termine deux cercueils « au cas où ».
Dans le cabinet du docteur Jiang, deux patients, une dame âgée et un quinquagénaire, attendent tranquillement que s’écoule leur perfusion. Régulièrement, la femme du docteur Jiang, elle-même médecin, s’assure que le liquide circule bien dans les veines des malades, passe un coup de balai ou range les médicaments dans un petit local attenant. Cette maison toute simple est à la fois un centre médical officiel et le domicile du couple. Agés d’une cinquantaine d’années, ni l’un ni l’autre n’ont terminé leurs études secondaires. Ce qui est le cas d’environ 25 % des 4 millions de médecins qui exercent en Chine. Lui a reçu une formation médicale de dix-huit mois à l’armée suivie d’un stage dans un hôpital, elle a suivi une formation plus courte. Comme l’indique un cadre accroché au mur, leur autorisation d’exercer est renouvelée tous les cinq ans.
Une confidentialité toute relative
« Etre médecin dans un village, c’est travailler vingt-quatre heures sur vingt-quatre, surtout que nous nous occupons aussi de trois villages aux alentours, soit 3 000 habitants » explique M. Jiang. Il est payé par l’Etat et les consultations sont gratuites. A ses yeux, « le Covid est un virus comme les autres ». Et comme les personnes âgées ont, selon lui, reçu quatre doses de vaccin et les plus jeunes trois doses, « il ne faut pas en avoir particulièrement peur ». Pour prendre le pouls et la tension d’un patient, M. Jiang – qui, comme ses confrères, ne porte pas de masque – pose son avant-bras sur un simple rouleau de papier hygiénique. Chaleureux, il lui arrive d’offrir quelques cigarettes et ne voit aucun inconvénient à ce qu’on en grille une dans son cabinet.
A environ deux kilomètres de là, à Zhu, le village voisin, le docteur Cheng Shanquan est un peu plus occupé. Spécialiste de médecine traditionnelle chinoise, il a été formé par son père et son grand-père et ses deux fils marchent sur ses traces. Lui aussi consulte à domicile. Dans sa maison située au fond d’une courette où s’entassent entre autres une vieille machine à laver et des jeux d’enfants. La vaste pièce par laquelle on entre fait à la fois office de pharmacie et de salle d’attente. Le cabinet du médecin est juste derrière, séparé par une cloison en partie vitrée. Comme il n’y a pas de porte, la confidentialité y est, comme chez son confrère Jiang, toute relative. Surtout que, plutôt que s’asseoir dans la pharmacie, la plupart des patients préfèrent assister à la consultation en cours. « C’est un très bon médecin », confie l’un d’eux. On ne demande qu’à les croire.
« J’utilise la technique du grand-père de mon grand-père » Hongkai, 34 ans
Le docteur s’honore d’ailleurs de travailler pour huit villages et de recevoir jusqu’à une centaine de patients par jour. Pourtant, il y a manifestement un certain temps que le ménage n’a pas été fait dans la maison et il est difficile de ne pas qualifier de « foutoir » son bureau. Mais prendre le pouls, regarder la langue et poser quelques rapides questions lui permet de griffonner des notes sur un bout de papier et de préparer la posologie que les patients viendront chercher quelques heures plus tard. Si les consultations sont, là aussi, gratuites, les médicaments, souvent « faits maison », sont payants et, dit-on, la facture grimpe vite. Agé de 2 ans, le petit-fils du docteur Cheng est déjà comme un poisson dans l’eau dans l’officine.
Parfois, le docteur Cheng réoriente les patients vers la clinique de son second fils. Une grande maison, plus moderne (et nettement plus propre) où le malade est reçu soit dans l’entrée, soit dans des pièces fermées réservées notamment à l’acupuncture ou à des séances de massage. « J’ai appris à travailler avec mon père depuis l’âge de 14 ans. Puis, j’ai obtenu mon certificat après cinq ans d’études », explique Hongkai, cigarette à la bouche. Cet homme de 34 ans exerce avec sa femme, infirmière. « Nous étions dans un hôpital mais sommes revenus au village quand ma femme était enceinte. Mais il y a beaucoup de patients et je suis très fatigué », nous confie-t-il devant quatre villageois, certains masqués, d’autres non, qui attendent leur tour.
« J’utilise la technique du grand-père de mon grand-père », affirme fièrement ce jeune homme en empoignant un patient sous les bras pour redresser une articulation. Si l’on se fie au nombre d’étendards accrochés au mur offerts par les malades qui y ont fait coudre quelques mots de remerciements, la réputation de Hongkai n’a rien à envier à celle de son père. Dans cette région pauvre, comme dans une bonne partie du pays, la médecine traditionnelle chinoise tient le haut du pavé.
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