par Camille Paix publié le 3 février 2023
Ce que l’on sait de Maria Montessori est inversement proportionnel à la renommée de son nom, et les images de cubes colorés que convoque le patronyme peinent à saisir la complexité du personnage. Qu’à cela ne tienne : puisque la bande dessinée semble être devenue le médium privilégié de la biographie, le hasard a fait que deux albums différents se sont penchés ces derniers mois sur le personnage – la Maison des enfants, de l’illustratrice italienne installée en France Caterina Zandonella, avec l’auteur Halim au scénario romancé, et Maria Montessori, l’école de la vie de Caroline Lepeu et Jérôme Mondolini. Deux ouvrages qui permettent d’éclairer des zones d’ombre tout aussi fascinantes que la lumière de l’histoire officielle.
Maria Montessori est née le 31 août 1870 dans une famille bourgeoise de Chiaravalle, dans l’Est de l’Italie. A priori, son entrée dans la vie a tout de la parfaite histoire d’acharnement féministe, celle de la self made woman opiniâtre : elle veut faire des études, pas son père, qui tente de lui mettre des bâtons dans les roues – si encore elle avait choisi de faire institutrice, mais elle s’est malheureusement entichée de biologie. Elle s’acharne. Outre le paternel, il lui faut enjamber moult obstacles, le ministre de l’Education nationale qui ne veut pas non plus d’une femme à la fac de médecine, ces bancs de l’université où certains cours lui sont interdits et où elle se retrouve seule la nuit, unique moyen pour elle de s’entraîner aux dissections…
L’une des premières Italiennes diplômée en médecine, Maria Montessori pose les bases de ce qui deviendra le combat d’une vie dans une institution psychiatrique de Rome. Appelée pour s’occuper des enfants «déficients mentaux», elle est choquée de voir qu’ils ne sont pas séparés des adultes et sont totalement sous-stimulés – on les met là pour les tenir, pas pour les soigner. La docteure obtient de les isoler et vérifie ce qu’elle subodorait : les jeux et les interactions entre les enfants sont des éléments essentiels de leur développement. Elle se met à hauteur d’enfant, les observe. Les laisse faire. Une méthode d’apprentissage en autogestion qu’elle élargira bientôt au-delà des «enfants difficiles» en ouvrant sa première école romaine, la Casa dei bambini – la Maison des enfants. La docteure se fait pédagogue.
Arrivée de Mussolini et exil
Pendant ce temps-là se déroule en silence son drame personnel. Enceinte hors mariage, elle doit choisir entre sa carrière si chèrement payée et la naissance de son fils. Elle le confie à une famille de paysans. Mario Montesano, qui deviendra Mario Montessori sur le tard, ne retrouve sa mère qu’à l’adolescence. Il sera son bras droit, son secrétaire personnel, et ne la quittera plus. Mais elle a raté avec lui ces premières années qu’elle juge si importantes.
Maria Montessori a une vision et des ambitions et ne recule devant pas grand-chose pour les mettre en pratique. Par exemple quand Mussolini s’entiche de sa méthode, dans laquelle il voit une formidable manière de mettre en pratique le fascisme à l’école. Celle qui se disait apolitique et pacifiste finit membre d’honneur du Parti, avec des bambins en chemise noire dans ses classes. La situation définitivement hors de son contrôle, elle démissionne en 1933, et fuit le pays avec son fils un an plus tard. Mussolini tourne la page de l’éducation Montessori, mais elle ne sera pas tranquille pour autant. Traquée en Espagne, elle finit par s’établir aux Pays-Bas, où elle crée en 1929 son organisation, l’Association Montessori Internationale, toujours active et florissante près de cent ans plus tard.
Maria Montessori traverse la Seconde Guerre mondiale à distance, exilée en Inde où elle ne devait à l’origine rester que trois mois. Il lui faudra six ans plein de rebondissements avant de retrouver un continent détruit. Et la fin d’une vie pour asseoir à coups de livres et de conférences son influence de superstar planétaire de la pédagogie, bâtisseuse d’un empire qui revendique aujourd’hui 25 000 écoles dans le monde.
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