par Eloïse Duval publié le 7 février 2023
Imaginez une crème qui produise le même effet que l’étreinte chaleureuse d’un ami, le toucher rassurant d’un parent, ou encore la tendresse d’une étreinte amoureuse. Bon, ce n’est pas encore tout à fait d’actualité, mais voilà ce à quoi une étude menée par des scientifiques de l’Institut Zuckerman de Columbia et deux institutions partenaires pourrait ouvrir la voie. Leurs travaux réalisés sur des souris – et publiés dans la revue scientifique Cell en janvier – mettent en avant les voies neurobiologiques qui sous-tendent le toucher social agréable, sexuel et gratifiant. Plus précisément, cette étude met au jour une population de cellules nerveuses de la peau reliant la caresse aux centres du plaisir du cerveau. Ainsi, pour Libération, Leah Elias, chercheuse postdoctorale à l’université Johns Hopkins de Baltimore ayant participé à l’étude, revient sur la découverte de la capacité de ces fibres nerveuses de la peau à relier la caresse au plaisir sexuel, et à activer le centre de récompense du cerveau.
Comment vos travaux mettent-ils à jour une population de neurones capables de relier les caresses au désir et au plaisir sexuel ?
Tous les types de toucher de la peau sont détectés par des fibres nerveuses sensorielles. Et il existe différents types de fibres nerveuses, réceptives à différents types de toucher : à titre d’exemple, ce ne sont pas les mêmes cellules nerveuses qui sont stimulées s’il s’agit d’une caresse, d’une pression ou de démangeaisons. Ainsi, nous savions déjà que le toucher agréable devait provenir de l’activation des neurones sensoriels de la peau. Or, dans cette étude, nous montrons comment ces cellules nerveuses de la peau sont stimulées pendant les rapports sexuels, et nous mettons en lumière un chemin neurobiologique complet, qui débute lors de la stimulation par la caresse de ces cellules de la peau, et qui va jusqu’aux centres du plaisir du cerveau.
Par ailleurs, nos travaux mettent en lumière deux choses. Premièrement, nous connaissons à présent l’identité de ces fibres nerveuses sensorielles spécialisées, et deuxièmement, nous montrons que la composante affective, plaisante, et émotionnelle du toucher agréable provient de ces fibres nerveuses. Enfin, nous mettons en avant qu’un contexte social ne semble pas nécessaire pour activer le centre de récompense du cerveau.
A quel type de caresses ces cellules sont-elles sensibles ?
Les cellules nerveuses étudiées sont probablement sensibles à une caresse douce. Mais bien sûr, comme pour une étreinte, différents types de toucher peuvent être agréables. Et il convient de préciser que les caresses, même si elles sont douces, ne sont pas toutes agréables (peu d’entre nous apprécieront la caresse d’une araignée rampant sur notre bras). Par ailleurs, nous considérons que ces cellules nerveuses sont sensibles au toucher agréable parce que les souris choisissent de passer du temps là où ces cellules nerveuses sont activées, et parce que leur activation provoque la libération de dopamine dans une région du cerveau associée au plaisir et à la récompense.
En quoi ces recherches pourraient permettre d’élaborer des thérapies ?
L’une des implications plus larges de ces travaux est que l’activation sélective d’une population spécifique de fibres nerveuses sensorielles est suffisante pour activer un centre de récompense du cerveau. En d’autres termes, il suffit d’activer ces fibres nerveuses dans la peau pour provoquer une libération de dopamine. Cela met en évidence le système nerveux périphérique – c’est-à-dire les nerfs de la peau – comme cible thérapeutique très puissante et sous-évaluée. Ainsi, on pourrait imaginer des thérapies par le toucher, ou même des crèmes contenant de petites molécules appliquées sur la peau, qui auraient finalement un impact sur le cerveau, sans les effets secondaires d’une manipulation directe du cerveau.
Nous savons par exemple que les couvertures lestées réduisent l’anxiété : le simple fait d’imiter une étreinte sans contexte social procure une partie du soulagement du stress que vous obtiendriez d’une étreinte. Peut-être avons-nous découvert une partie de la raison pour laquelle cela est biologiquement possible. Un phénomène similaire pourrait exister pour les caresses douces et la libération de dopamine, par opposition à la pression et au soulagement du stress.
Enfin, la pandémie a mis en évidence l’importance des interactions sociales, et notamment du toucher social, pour notre santé mentale. Notre travail montre un moyen de reproduire les avantages du toucher social – par la mise en activité du circuit de récompense émotionnel – même lorsqu’un contexte social n’est pas possible – du fait de la distanciation sociale par exemple.
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