Publié le 7 février 2023
REPORTAGE Le collège Emmanuel-Maffre-Baugé à Paulhan a construit un programme de prévention qui va de la 6ᵉ à la 3ᵉ et évoque tour à tour l’intimité, le consentement, la contraception, les effets de la pornographie… Une dynamique qui établit une confiance entre enseignants et élèves, et contribue à libérer la parole.
« Madame, c’est quoi la vulve ? » Thao triture, un brin inquiet et timide, le morceau de papier où est écrit ce mot et dont il ne sait pas bien quoi faire. Tour à tour, douze élèves de 6e du collège Emmanuel-Maffre-Baugé de Paulhan dans l’Hérault doivent venir, en ce matin de février, placer les étiquettes que l’enseignante leur a confiées sur les silhouettes d’une femme et d’un homme projetés au tableau. Thorax, abdomen, pubis, pénis, bras, anus… L’idée est de déterminer quelles sont les parties intimes. « Alors, qui pour aider Thao ? », lance Julie Delcasso, professeure de sciences de la vie et de la terre (SVT). Silence. « Tout le monde sait ce qu’est un pénis et personne ne sait ce que c’est une vulve ? » Et après une pause : « C’est le sexe de la femme », explique-t-elle devant un auditoire où les gloussements sont moins présents que ce à quoi on pourrait s’attendre.
Cette séance autour de l’intimité adressée à des élèves de 6e constitue une nouveauté dans le programme de prévention et d’éducation à la sexualité mis en place depuis une dizaine d’années dans ce collège rural de 600 élèves, situé à une quarantaine de kilomètres de Montpellier. Dans le second groupe, Tony, bras croisés et regard frondeur, demande : « Mais quand même, madame, parfois la fille, elle est d’accord et puis après elle va porter plainte. » L’enseignante s’arrête et se montre ferme : « Ça, ce sont des histoires qu’on se raconte et il faut que tu te l’enlèves de la tête. Il n’y a pas “des filles qui”. Un non, c’est un non. Les victimes, il faut les écouter. »
D’autres élèves parlent ensuite brièvement devant leurs camarades ou en aparté des agressions dont ils ont entendu parler. Pour l’un, c’est une cousine qui a eu « un sexe dans la bouche » alors qu’elle était en maternelle ; pour l’autre, c’est un adolescent de 15 ans qui a touché les parties intimes d’une copine plus jeune… A 11 ans, ces élèves semblent déjà aguerris sur le sujet. « Nous avons beaucoup tâtonné avant de proposer cette séance, mais elle nous paraît plus qu’essentielle pour libérer la parole et protéger nos élèves », note Julie Delcasso, l’une des coordinatrices du projet.
Ambiance joyeuse
Alors que moins de 20 % des collégiens et 15 % des écoliers bénéficient des trois séances annuelles d’éducation à la sexualité pourtant prévues par la loi depuis 2001, ce dispositif « maison » impulsé par une enseignante de SVT, Isabelle Lardat, a encore tout d’une exception. L’éducation à la sexualité est « un échec », martèle un rapport sénatorial de septembre 2022 consacré à l’industrie pornographique : « Les adolescents sont bien souvent laissés seuls avec leurs questionnements et sans espace de discussion » alors que le porno est devenu « un lieu d’apprentissage de la sexualité par défaut ». Face à ces constats, le président de la République, Emmanuel Macron, a demandé récemment à renforcer l’éducation à la sexualité, sans impulsion concrète jusqu’à présent.
« Je casse les codes avec mes élèves mais avec le sentiment de jouer à plein mon rôle d’éducateur », témoigne Guilhem Cugnasse, professeur d’histoire-géographie
A Paulhan, le programme, rythmé par deux ou trois séances par an en plus des cours traditionnels de SVT, a d’abord été centré sur la prévention contre le sida, avant de s’étoffer au fil des années. « Il y a encore cinq ans, la séance sur le consentement n’existait pas », note Isabelle Lardat.
Point d’orgue du dispositif, l’après-midi de ce 2 février est banalisé pour la centaine d’élèves de 3e du collège. Après la matinée dévolue au brevet blanc, ils vont successivement suivre trois ateliers sur la prévention du sida, la sexualité et le consentement. L’approche se veut ludique, l’ambiance résolument joyeuse, malgré la lourdeur des thèmes abordés.
Une vingtaine de professeurs de toutes les disciplines sont impliqués dans le projet. Ils se retrouvent une fois par mois pour discuter du programme et animent les ateliers de l’après-midi en binôme. La principale, Claire Dupé, joue, elle, les « facilitatrices » en accordant quelques heures supplémentaires aux enseignants volontaires. « Ce n’est pas dans les habitudes de parler de la sexualité avec le prof de maths », s’amuse Isabelle Lardat. Mais chacun y trouve son compte. « Je vais au-delà de mes compétences et de ma discipline. Je casse les codes avec mes élèves mais avec le sentiment de jouer à plein mon rôle d’éducateur », témoigne Guilhem Cugnasse, professeur d’histoire-géographie. « Si on ne leur apprend pas, qui le fera ? », abonde Francis Gas, enseignant de mathématiques.
« Un peu perdus »
Dans l’atelier consacré au consentement, un grand ruban vert sur le sol coupe la salle en deux parties : « d’accord », « pas d’accord ». Les élèves doivent se positionner en fonction des affirmations énoncées : « heureusement, le viol est un phénomène rare », « la majorité des viols sont commis par des personnes inconnues de la victime », « dans certains cas, la personne violée a une part de responsabilité »… Suivant les cas, un débat s’engage et les enseignants viennent étayer leurs propos des dernières statistiques connues.
Le ton des adultes n’est jamais professoral ni moralisateur. Tout est évoqué avec naturel et sans tabou. « Si ce n’est pas un oui clair, tu ne fais rien », insiste Isabelle Lardat. « Les filles ou les garçons pour qui ça va trop vite ou trop loin peuvent entrer dans un état de sidération et ne plus bouger. Il faut aussi apprendre à décoder ce non-verbal », détaille-t-elle. Dans leurs réponses et leurs réflexions, les jeunes font pour la plupart preuve d’une grande maturité. « On a déjà parlé du consentement l’année dernière », explique Elliott.
La pornographie et ses conséquences traversent les différents ateliers. Tous les élèves acquiescent : les images pornographiques sont très faciles d’accès. Héloïse remarque néanmoins : « Un garçon qui regarde du porno, c’est normal et il va s’en vanter dans la cour. Une fille, elle, va se faire critiquer. » Isabelle Lardat les met en garde : « Le porno, c’est du spectacle, c’est un film, ce n’est pas la réalité. On ne vous demande pas d’être Spiderman dans la vraie vie. »
« Avec les réseaux sociaux, les adolescents voient des choses qu’ils ne voyaient pas il y a une dizaine d’années », constate Julie Delcasso. Elle les juge tout à la fois « submergés d’informations », mais aussi « un peu perdus face à tout ce qu’ils voient ». L’enseignante observe aussi de nouvelles représentations : « Dans leurs têtes, la fellation est davantage un préliminaire qu’un rapport sexuel en soi. Il faut leur rappeler que là aussi il doit y avoir consentement. »
« Ils peuvent nous parler »
Infection sexuellement transmissible, contraception, grossesse, sexualité… L’atelier sexualité prend la forme d’un grand quiz par équipe. La roue tourne et s’arrête sur l’un des thèmes. Le professeur animateur lit une question à choix multiples. « Que signifie IVG ? a) introduction vaginale gantée b) interruption volontaire de grossesse c) interdiction véritable de grossesse », annonce Julie Delcasso. La question à peine posée, les buzzers s’affolent et les adolescents crient la réponse. L’enseignante vient alors apporter des compléments d’information sur la manière dont se pratique l’interruption volontaire de grossesse, jusqu’à quand elle est possible… « Mais quand même, madame, ce n’est pas très moral ? », lance Davy. « Si tu veux du débat, cela ne manque pas sur le sujet, mais, en France, c’est la loi, les femmes ont le droit d’avorter jusqu’à la quatorzième semaine de grossesse », rétorque Julie Delcasso.
Le programme crée une autre relation entre les enseignants et les élèves. « Ils savent qu’ils peuvent nous parler », relate Aurélia Bailleux-Conicella, enseignante de SVT. Certains adolescents viennent voir leur professeur plusieurs jours voire plusieurs semaines plus tard. « L’année dernière, une élève de 4e est venue me voir à la fin d’un cours pour savoir si elle pouvait être enceinte après un rapport non protégé », raconte la professeure.
Une case « bonus » s’est intercalée dans la roue de l’atelier sexualité : la case rap. Il s’agit alors de donner libre cours à sa créativité à partir de quatre mots imposés qui riment entre eux. Davy se lance et déclame : « Quand on commence les préliminaires, c’est aussi chaud que l’enfer. Quand je m’approche de ta chair, c’est aussi foudroyant que l’éclair. » La salle applaudit. A la fin de l’après-midi, chaque élève de 3erepart avec un préservatif en plus et, les enseignants l’espèrent, quelques idées reçues en moins.
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