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jeudi 9 février 2023

A la barre Incendie de la rue Erlanger : aux assises, dans «le monde noir» d’Essia Boularès

par Julie Brafman   publié le 7 février 2023

Le procès de l’accusée de 44 ans, jugée pour avoir mis le feu à son immeuble du XVIe arrondissement de Paris en 2019, provoquant dix morts, s’est ouvert lundi. Les jurés ont plongé dans une vie chaotique, entre hospitalisations pour addictions et rechutes.

par Julie Brafman

publié le 7 février 2023 à 19h53

Cette nuit-là, elle a quitté son immeuble du XVIe arrondissement de Paris, un briquet à la main, sans se retourner. Elle n’a pas vu les flammes qui commençaient à monter du bûcher qu’elle venait d’allumer sur le palier du deuxième étage. Elle n’a pas senti les épaisses fumées. Elle n’a pas entendu les cris et les suppliques des voisins pour être sauvés. Le 4 février 2019, dix personnes ont péri et des dizaines d’autres ont été blessées dans l’incendie du 17 bis, rue Erlanger. Aujourd’hui, les rescapés et proches des victimes – parmi 118 parties civiles – se tiennent serrés sur les bancs de bois. Tellement serrés que la cour d’assises semble trop petite pour contenir autant de malheur. Alors, pour la première fois, elle a dû se retourner. «Je suis vraiment désolée, prononce Essia Boularès, j’ai mis le feu sans intention de donner la mort»«sans réfléchir aux conséquences». C’était un «geste insensé» pour se venger de son voisin pompier, décrit-elle.

L’accusée de 44 ans, qui comparaît depuis lundi, a le visage bouffi par un cocktail d’anxiolytiques et d’antidépresseurs, un teint couleur prison et un regard qui caresse le vague. Depuis qu’elle est derrière les barreaux, elle a multiplié les séjours à l’unité hospitalière spécialement aménagée (Uhsa). Parfois encore, elle voit «des anges, la Vierge ou des êtres de lumière». Les psychiatres qui l’ont examinée durant l’instruction ont retenu une altération de son discernement. En janvier 2019, quelques jours avant le drame, elle était encore hospitalisée à Saint-Anne après une «crise de délire». Sa sœur aînée, Mariam, l’avait récupérée à la gare dans un état second, «avec des taches rouges sur tout le visage». Tandis qu’elle signait – presque mécaniquement – les papiers pour une prise en charge sans consentement, Essia ramassait de la terre en invoquant «Gaïa ou des chamanes»«On la connaît bien, votre sœur», a soupiré un membre du personnel.

Une petite fille «très joyeuse et très gaie»

«Comment a-t-on pu la laisser sortir dix jours plus tard [le 30 janvier 2019, ndlr] alors qu’elle était dans ce délire où elle disait qu’elle était descendue du ciel pour sauver les Indiens ?», ressasse sa mère, Michelle, 76 ans, retraitée de l’enseignement supérieur. Sa voix n’est plus qu’un souffle, comme si se terminait ici, à la barre, le marathon d’une vie. Elle répète : «C’est une femme malade. Nous n’avons pas été aidés pour la soigner, peut-être parce qu’on ne sait pas comment la soigner.» Durant toutes ces années, on lui a dit que sa fille était «borderline» ou qu’elle était «bipolaire», qu’elle «aurait dû faire polytechnique», qu’il fallait qu’elle vive seule ou qu’elle soit entourée. Elle a consulté des psychiatres, des généralistes, des neurologues, des thérapeutes… A chaque nouveau traitement, elle a espéré : «Cette fois-ci, ça va être la bonne.» Des nuits entières, elle s’est enfoncée dans des abîmes : d’où vient ce mal sans basculement ? Cette «souffrance» sans explication ?

Les jurés sont confrontés à l’énigme d’une petite fille «très joyeuse et très gaie» qui a grandi dans un milieu parisien cossu, entre un père chef des interprètes à l’Unesco (mort d’un cancer en 2012) et une mère avec qui elle a tissé «une relation très fusionnelle». Une petite fille qui s’est éteinte à 12 ans, soudainement. Essia Boularès a développé une addiction au sucre, elle a grossi puis s’est affamée après avoir subi des moqueries à l’école. Elle est restée au lit à ne plus supporter «la misère», «les injustices» et «la destruction de la nature». Quand elle a bu sa première bière, à 14 ans, dans le jardin du Luxembourg avec des garçons plus âgés, elle a senti comme «le poids du monde qui s’envolait». A 17 ans, elle vidait 24 canettes par jour, souvent seule, jusqu’à être hospitalisée pour son premier sevrage.

Internée plus d’une trentaine de fois

Elle a tout de même réussi à obtenir un bac littéraire, puis ses parents lui ont payé une coûteuse école d’hôtellerie à Lausanne «parce qu’elle aimait recevoir et les grandes tablées». Essia Boularès est devenue assistante gouvernante dans un palace à Biarritz. Sa vie professionnelle s’est achevée de la même façon que ses histoires d’amour, «à cause de l’alcool», de ces «pétages de plombs» dont elle garde des souvenirs flous et qu’elle conte en bouteilles de tequila ou comprimés d’ecstasy. Elle scande ainsi la mélodie de son existence : «Rechute, cure, rechute, cure, rechute…» «Quand elle était dans un cadre, c’était toujours pareil, on nous disait “elle est formidable” et puis ça recommençait», prononce en écho sa mère. En tout, Essia Boularès aura été internée plus d’une trentaine de fois après des alcoolisations massives ou prises de toxiques. Elle n’est pas parvenue à rester sobre plus d’un an et demi.

«Rien n’a jamais réussi à vous raccrocher ?», questionne le président, Franck Zientara, évoquant la naissance de son fils en 2008. «Non», répond l’accusée qui a vécu quelques mois avec le père, un infirmier rencontré lors d’une retraite de yoga. Ils se sont séparés quand elle était enceinte et Michelle est devenue la tutrice de l’enfant. Dans le box, Essia Boularès essuie quelques larmes. Elle ne sait pas d’où vient «toute cette souffrance», elle trouve seulement que «le monde est noir». Par le passé, lors de «crises», elle a brûlé un pompier venu la secourir, elle a mis le feu à des vêtements dans un magasin ou à la chemise d’un petit ami. Une autre fois, elle a formé un bûcher sur le paillasson de Mariam. «Est-ce que ce sont mes croyances chamaniques ? Est-ce parce que le feu est purificateur ? réfléchit-elle. En prison, avec les psychologues, j’essaie de savoir ce qui se passe entre moi et le feu.»


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