Par Richard Schittly Publié le 15 novembre 2022
Après plusieurs signalements, le centre hospitalier de Saint-Cyr-au-Mont-d’Or est placé sous administration provisoire. De nombreux témoignages décrivent les méthodes brutales de la direction. Des « attaques gratuites », selon le directeur.
Un hôpital plongé dans la souffrance et placé sous tutelle. La situation du centre hospitalier de Saint-Cyr-au-Mont-d’Or, près de Lyon, a conduit l’agence régionale de santé (ARS) d’Auvergne-Rhône-Alpes à placer l’établissement de santé mentale sous administration provisoire, à compter du 15 novembre, pour une période de six mois renouvelable.
Composé de plusieurs pavillons répartis autour d’un ancien château, l’hôpital de Saint-Cyr-au-Mont-d’Or joue un rôle important dans l’ouest du département du Rhône, accueillant 12 000 patients par an, en séjours longs, consultations ou urgence. Il compte 800 employés, dont 70 médecins et 500 personnels soignants. Toutes les attributions du directeur, du directoire et du conseil de surveillance sont suspendues.
« Ces attributions seront exercées par une mission d’administration provisoire, comprenant directeur et médecin, désignée par arrêté ministériel. Il leur est demandé d’analyser les dysfonctionnements actuels, d’établir un diagnostic des causes, d’évaluer l’impact sur la qualité et la sécurité des prises en charge et de mettre les mesures permettant d’y remédier », explique le communiqué de l’ARS, publié sur son site, le 7 novembre.
Pétition de soignants, courrier au préfet
L’agence évoque « des relations conflictuelles au sein de la gouvernance qui débordent sur le climat de travail interne et contribue à nuire au fonctionnement du centre hospitalier ». Dans son courrier adressé le même jour à la commission médicale d’établissement (CME), le ton de l’ARS est beaucoup plus alarmiste. « Les signalements d’événements graves avérés, conjugués avec un dysfonctionnement de la gouvernance qui est dans l’incapacité de résoudre cette situation, créent un risque majeur pour la qualité et la sécurité des soins », écrit Jean-Yves Grall. Le directeur général de l’ARS prend soin de souligner : « Cette décision n’est en aucun cas la satisfaction d’un quelconque acteur de la gouvernance contre un autre. »
Après une motion de défiance de la commission médicale d’établissement, le 12 septembre, et une pétition signée par plus de 300 personnels soignants, un courrier a sans doute précipité la décision de l’ARS. Cinquante praticiens hospitaliers de l’établissement dénoncent « un mode de fonctionnement délétère de la direction », dans une lettre du 19 octobre, adressée au préfet, aux autorités sanitaires et aux élus de la région. Médecins et chefs de service décrivent la surcharge de travail et « un fonctionnement clanique » de la direction, qui serait à l’origine de nombreux départs. « La souffrance est actuellement partout, individuelle et collective, à tous les étages de l’institution », dit ce courrier, réclamant « avec force une enquête rapide et objective sur les dérives d’une direction devenue aveugle et profondément malveillante ».
« Des attaques purement gratuites », réagit le directeur de l’établissement, contacté par Le Monde. « Il y a eu un certain nombre de dysfonctionnements assez nombreux que j’ai moi-même signalés depuis des mois, avec certaines équipes médicales de l’établissement, qui se sont caractérisés par des événements indésirables graves », explique Jean-Charles Faivre-Pierret.
« La direction est sourde aux alertes de son personnel, j’ai rarement vu un blocage d’une telle intensité » - Karine Thiebault, avocate du syndicat CGT
Le directeur accuse nommément un médecin des maux de l’hôpital et défend sa bonne gestion. « Nous constatons une nette hausse de l’effectif médical de l’établissement. Ce qui en fait l’établissement le plus doté en médecins de tous les hôpitaux psychiatriques d’Auvergne-Rhône-Alpes, le seul établissement à n’avoir fermé aucun lit ni structure, contrairement à tous les hôpitaux de la métropole et du département », affirme le directeur, en poste à Saint-Cyr depuis 2012, après des fonctions de directeur financier de l’hôpital de Valence (Drôme) et de DRH à l’Assistance publique-Hôpitaux de Marseille (AP-HM).
Face à un refus d’audit interne, le comité d’hygiène, de sécurité et des conditions de travail (CHSCT) a obtenu une expertise du tribunal administratif, le 17 octobre. « La direction est sourde aux alertes de son personnel, j’ai rarement vu un blocage d’une telle intensité. Plutôt que d’entendre, la direction désigne des fautifs. La santé, en particulier la santé mentale, est la branche la plus mal traitée du service public de santé. Cet établissement connaît une immense souffrance au travail », estime Karine Thiebault, avocate du syndicat CGT. « Nous relevons du Code de la santé publique, pas du Code du travail, du coup l’inspection du travail n’intervient pas. Il est difficile de révéler des dérives. Le nombre de patients en soins psychiatriques est passé d’un à deux millions en vingt ans, et nous avons 30 % de postes de praticiens vacants », confie un médecin, qui souhaite rester anonyme.
Cinq directeurs RH en sept ans
L’hôpital de Saint-Cyr-au-Mont-d’Or a vu se succéder cinq directeurs des ressources humaines au cours des sept dernières années, dont deux partis en « état de stress traumatique », selon plusieurs sources médicales concordantes. Ils ont décrit à leurs proches la dégradation de leur propre santé, jusqu’à l’épuisement. Dénigrement, manipulations, convocations soudaines dans le bureau du directeur, entretien disciplinaire improvisé… plusieurs témoignages internes décrivent le même processus.
« On vient au travail avec la boule au ventre, une peur diffuse, on ne sait pas ce qui peut nous tomber dessus. Les reproches étaient tellement absurdes, je ne savais pas quoi répondre. Vous êtes isolé et vous ne savez pas que les autres vivent la même chose », confie une infirmière, qui souhaite également rester anonyme. Plusieurs soignants estiment que le directeur a formé « un petit groupe qui lui est entièrement redevable », pratiquant l’intimidation. « On n’imagine pas à quel point c’est élaboré, c’est très impressionnant », témoigne un médecin.
La direction conteste totalement ces mises en cause, se prévaut du soutien de deux associations d’usagers et suggère que les témoignages à charge de soignants ont été obtenus sans indépendance, par « loyauté » à leurs chefs de service. « Le président de la commission médicale veut avoir tous les pouvoirs », estime Noura Bassi, responsable de la qualité et des relations avec les usagers. Les neuf membres du comité de direction (Codir) ont signé une longue note, le 13 septembre, réfutant les dysfonctionnements : « Les attaques portées contre la direction relèvent du subjectif : ce sont des jugements (opinions) et des ressentis (émotions, sentiments), mais ce ne sont pas des faits qui, eux, sont objectifs. »
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