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mardi 15 novembre 2022

La dépression post-partum, un mal enfin mesuré en France

Par    Publié le 14 novembre 2022

Entre 15 % et 20 % des mères souffrent d’une dépression dans l’année suivant la naissance de leur enfant. Dépister le plus tôt possible est un enjeu car les conséquences n’ont rien à voir avec le baby blues. Depuis juillet, un entretien de prévention est obligatoire.

Même les personnes les plus endurcies ne sont pas à l’abri. Laure Manaudou a confié récemment avoir fait une dépression post-partum pendant un an. « Je me suis sentie submergée, étouffée, c’était trop… », a expliqué la nageuse et championne olympique dans une vidéo sur Brut, le 11 octobre. « En tant que sportive, je suis censée être dure… Or, j’étais fatiguée, énervée, j’avais l’impression de ne pas savoir m’occuper de mon fils, le troisième. » Laure Manaudou fait partie des nombreuses femmes qui ont souffert d’une dépression post-partum, l’un des sujets portés par la Société française de médecine périnatale lors de ses dernières journées nationales, à Lille, du 12 au 14 octobre.

Selon l’enquête nationale périnatale 2021, menée auprès de 12 723 femmes, publiée en octobre, 16,7 % des femmes ayant accouché en mars 2021 ont présenté des signes de dépression post-partum deux mois après l’accouchement. Ces scores, mesurés pour la première fois, ont été calculés sur la base des dix questions de l’échelle de dépression postnatale d’Edimbourg (EPDS). « Ces chiffres sont concordants avec les autres pays similaires à la France, avec un taux de dépression maternelle postnatale variant de 15 % à 20 %, avec un pic de fréquence à deux-quatre mois et un autre à six mois », constate Camille Le Ray, chercheuse à l’Inserm et gynécologue-obstétricienne à la maternité Port-Royal (Paris), qui a coordonné l’étude. Les pères ou coparents ne sont pas épargnés, mais il existe moins de données sur le sujet.

« Ces chiffres nous inquiètent, observe Anne Chantry, sage-femme et chercheuse à l’Inserm. Cela veut dire qu’une femme sur sept n’est pas bien après son accouchement, ce qui représente plus de 100 000 femmes par an. C’est inquiétant d’un point de vue sociétal, car la plupart des grossesses sont désirées. L’état de la femme se serait dégradé pendant la grossesse et/ou après l’accouchement. »

Rien à voir avec le baby blues

La dépression post-partum se distingue du baby blues, un événement transitoire attendu qui concerne de 30 % à 80 % des accouchées dans la semaine qui suit, et qui dure de sept à dix jours. Comme pour d’autres types de dépression, « ces femmes perdent toute forme d’envie, ont un sentiment de tristesse, d’isolement, ce qui peut altérer leur santé et celle de leur bébé », constate Anne Chantry. « Les mères ont un sentiment d’incapacité à s’occuper de leur bébé, se disent que les autres seront plus à même de le faire, ce qui est spécifique de la dépression post-partum », décrit Sylvie Viaux-Savelon, pédopsychiatre périnatale à l’hôpital de la Croix-Rousse, à Lyon.

« Les mères ont un sentiment d’incapacité à s’occuper de leur bébé, se disent que les autres seront plus à même de le faire » – Sylvie Viaux-Savelon, pédopsychiatre périnatale à l’hôpital de la Croix-Rousse, à Lyon

« La dépression post-partum est un tabou dans notre pays, car la maternité doit être forcément chose heureuse. Or, elle peut être, dans certaines situations, source d’interrogations, de perturbations, voire de souffrance »avait expliqué Adrien Taquet, alors secrétaire d’Etat chargé de la protection de l’enfance, le 9 octobre 2020, lors des annonces des mesures en faveur des 1 000 premiers jours de l’enfant. « L’arrivée d’un bébé est l’un des moments les plus à risque dans la vie d’une femme, avec des bouleversements hormonaux, corporels, organisationnels, familiaux ou professionnels », poursuit Sarah Tebeka, psychiatre à l’hôpital Louis-Mourier (AP-HP, Colombes, Hauts-de-Seine) et chercheuse.

Conséquence tragique, le suicide est la deuxième cause de mortalité des mères dans l’année qui suit l’accouchement, derrière les maladies cardio-vasculaires, avec 35 décès par suicide de 2013 à 2015, soit une femme par mois, comme l’avait révélé l’enquête nationale confidentielle sur les morts maternelles (Inserm, Santé publique France), rendue publique début 2021.

Cette étude avait alors créé un électrochoc. Dans neuf cas sur dix, il y avait des signes d’alerte. « Par exemple, les mères avaient du mal à s’occuper de leur bébé en suites de couches ou n’étaient pas venues à des rendez-vous de suivi de grossesse », constate Sylvie Viaux-Savelon. D’où la nécessité de former les soignants de première ligne.

La dépression post-partum peut altérer les interactions précoces avec le bébé. Une revue de littérature conduite par Justine Slomian (département de santé publique de l’université de Liège), publiée en 2019 dans Women’s Health, a montré une association significative, et négative, entre la présence de ce trouble chez la mère et la qualité du développement cognitif, du langage ou du sommeil des enfants. « Plusieurs travaux ont mis en évidence un risque accru de troubles psychiatriques pendant la petite enfance, l’enfance, l’adolescence et l’âge adulte chez les enfants dont les mères ont présenté une dépression post-partum », souligne Sarah Tebeka.

Les causes sont multifactorielles. « Les antécédents de troubles psychiatriques, qu’ils soient individuels – ce qui est le cas pour la moitié des femmes – ou familiaux, sont le principal facteur de risque d’une dépression périnatale, explique Sarah Tebeka. Des variants de gènes candidats à la dépression, notamment ceux impliqués dans des voies sérotoninergiques, l’axe du stress, les rythmes circadiens ou encore l’ocytocine, sont aussi associés. » Il existe, selon la psychiatre, d’autres facteurs de vulnérabilité : l’isolement, la précarité, des événements de vie stressants comme des conflits familiaux, des traumatismes, des violences, parfois au travail. « Les entreprises doivent comprendre que, souvent, la femme vit une période de stress intense, entre nuits courtes, préoccupations pour son enfant, organisation familiale et reprise de fonctions professionnelles », insiste cette spécialiste de la psychiatrie périnatale.

Un dépistage le plus tôt possible

Autant de données qui montrent l’urgence d’agir et de dépister le plus tôt possible. Depuis juillet, un entretien postnatal précoce, réalisé par une sage-femme ou par un médecin généraliste, est obligatoire. D’une durée d’une heure environ, il se déroule en principe entre la quatrième et la huitième semaine et aborde le vécu de la naissance et des premiers jours, mais aussi l’environnement et les éventuelles violences à dépister. Dans les faits, toutes les femmes ne le font pas. « Comment mettre en place l’entretien postnatal avec 30 % de sages-femmes manquantes dans les maternités ? », questionne Sylvie Viaux-Savelon. « Lors des cours de préparation à l’accouchement, les parents reçoivent beaucoup d’informations d’ordre médical, mais peu sur le versant psychique. Il y a là beaucoup de travail à faire », constate Elise Marcende, présidente de l’association Maman blues.

L’enjeu est de taille : seules 40 % à 50 % des dépressions seraient diagnostiquées, et seulement la moitié des femmes déprimées trouveraient à qui s’adresser, mentionnait le rapport issu de la commission sur les 1 000 premiers jours de la vie de l’enfant présidée par le neuropsychiatre Boris Cyrulnik.

La prise en charge dépend de la gravité : des psychothérapies de soutien et/ou des traitements médicamenteux peuvent être proposés. Les antidépresseurs fonctionnent souvent très bien. « On constate beaucoup de réticence en raison de possibles effets indésirables. Or, selon les professionnels du Centre de référence sur les agents tératogènes [spécialisé dans les risques pendant la grossesse et l’allaitement], les risques courus à ne pas prendre de traitement sont le plus souvent supérieurs, aussi bien pour les mères que pour les enfants », constate Sylvie Viaux-Savelon.

L’application gratuite 1 000 premiers jours, disponible sur smartphone, permet aussi d’aiguiller les parents. Ils peuvent ainsi y remplir le questionnaire EPDS pour évaluer leur mal-être et, s’ils le souhaitent, être contactés par l’association Maman blues. L’objectif est également d’aller vers les publics les plus vulnérables grâce à des équipes mobiles. Le raccourcissement des séjours à la maternité, la fermeture de certaines d’entre elles et les contraintes de personnel compliquent un repérage pourtant nécessaire.


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