par Eric Favereau publié le 15 novembre 2022
Incompétence ? Censure ? Bureaucratie ? A quoi peut-on attribuer le refus inédit de la Commission nationale informatique et libertés (Cnil) d’autoriser l’hebdomadaire le Point à accéder à la base de données nationale sur l’activité des établissements de santé (dite base «PMSI») «afin de réaliser et de publier un palmarès des hôpitaux et des cliniques français». Une première, en tout cas, depuis plus de vingt ans.
Le Point a sa réponse. Dans un éditorial publié dans le numéro en kiosques jeudi, son directeur, Etienne Gernelle, ne fait pas dans la nuance. Il s’insurge contre ce qu’il appelle une «censure d’Etat» et une «opération omerta». Il qualifie les organismes de contrôle d’«obscur», de «petit club qui confond éthique et opacité et auquel l’évaluation donne de l’eczéma» et qui «n’aime pas la méthodologie d’une enquête pourtant reconnue pour son sérieux par les plus grands professionnels depuis des décennies». Concluant par : «La culture de la liberté d’expression est en singulier recul chez les hauts fonctionnaires français qui se pensent habilités à dire ce qui peut être publié ou pas. Nous enquêterons sur les dessous de cette censure, sur ce parti de l’omerta à l’hôpital, sans oublier les responsables politiques.»
«Présupposés non étayés»
Diantre. Que faut-il en penser ? Petit retour en arrière. Ce palmarès est une des plus belles réussites du journalisme médical, réussissant à casser l’entre-soi des évaluations des hôpitaux. Le quidam moyen était totalement démuni, en manque d’informations pour s’orienter et savoir ainsi la qualité réelle de tel ou tel établissement. Depuis plus de vingt ans, des journalistes (Jérôme Vincent, François Malye et Philippe Houdart) ont réussi à monter ce classement des hôpitaux et des cliniques. Travail énorme, sérieux, nécessitant notamment des compétences informatiques réelles, le petit groupe était étonnant. Inséparables alors, sans le moindre lien d’intérêt, ces mousquetaires ont su résister aux critiques nombreuses qui leur sont tombées dessus, dont la première était le risque de transformer le patient en un vulgaire consommateur. En tout cas, ces classements – dont le dernier a été publié en septembre 2021 – étaient réalisés à partir des données du PMSI, base dans laquelle sont enregistrés tous les séjours hospitaliers. Les journalistes le nourrissaient aussi d’informations recueillies par un questionnaire adressé aux établissements.
Tout cela n’était pas simple et nécessitait plus de six mois de travail. Il fallait les entendre préparer leurs dossiers pour accéder à la base du PMSI, dont l’autorisation d’accès durait trois ans. Début 2022, le Point a donc renouvelé sa demande d’accès. Avis défavorable donné par le Cesrees (Comité éthique et scientifique pour les recherches, les études et les évaluations dans le domaine de la santé, organisme qui s’occupe plutôt du volet scientifique de la demande alors que la Cnil conclut en regardant plutôt le respect des grands principes). Le Cesrees a expliqué que «le demandeur ne peut se prévaloir de la finalité d’intérêt public que si l’information présentée est pertinente et de nature à améliorer la connaissance du public sur le système hospitalier. Le dossier présenté ne permet pas de conclure à la pertinence de l’information fournie», en indiquant avoir «constaté que la construction des indicateurs retenus dans le palmarès peut conduire à diffuser une information erronée sur les performances relatives réelles des établissements de santé».
Le Cesrees a détaillé quelques «limites» qu’il a relevées sur la méthodologie utilisée pour classer les établissements, notant par exemple que «la construction et l’interprétation des indicateurs reposent sur des présupposés qui ne sont pas étayés par la littérature scientifique». Le comité a par ailleurs reproché au Point de ne pas avoir respecté la réglementation concernant la transmission d’un bilan contenant la liste des analyses réalisées dans le cadre de la précédente décision. Il déplore un non-respect de l’engagement qui aurait été pris de faire des efforts en matière de transparence. Le Cesrees a renouvelé, en juillet, son avis défavorable, réaffirmant l’absence d’intérêt public du traitement des données du PMSI effectué par le magazine et réitéré ses «points d’attention sur les biais méthodologiques majeurs». C’est sur la base de ce second avis que la Cnil a alors opposé un refus. A l’évidence, il n’y a pas de blocage absolu, insiste la Cnil, mais le souhait que soit améliorée la méthodologie qui n’a guère bougé depuis vingt ans. Parallèlement, un certain nombre d’experts s’interrogent depuis des années sur ce système d’accès nécessitant une autorisation, ne comprenant pas pourquoi ces données ne sont pas en accès libre.
Dimension humaine
Qu’en déduire ? Nul ne le conteste, le palmarès a des défauts. Il repose parfois sur des présupposés que l’on peut mettre en doute. Récemment, par exemple, il avait intégré la psychiatrie. Et il avait mis en avant comme critère de qualité la brièveté de la durée de séjour, ce qui est pour le moins contestable. Mais dans cette histoire et dans l’impasse actuelle, il existe aussi une dimension purement humaine : le petit groupe à l’origine de ce palmarès inédit a vieilli. Inséparable hier, il se déchire aujourd’hui. Il s’était déjà divisé, il y a trois mois, sur le projet de construire une liste de médecins experts, cela à la grande colère de l’Ordre des médecins. Aujourd’hui, dans cette guéguerre interne, le petit groupe n’a pas pris au sérieux les remarques d’amélioration suggérées par la Cnil et le Cesrees. «Crier à la censure est pour le moins facile», note un directeur d’hôpital. «Pour autant, est-ce à la Cnil de dire oui ou non ?» poursuit un chef de service hospitalier, proche de l’hebdomadaire.
En tout cas, le Point peut avoir des regrets. Le numéro dans lequel était publié ce palmarès représentait la plus forte vente de l’année. «On a besoin de ces palmarès et de ces regards extérieurs», nous disait récemment un responsable de France Assos Santé, qui regroupe les associations de malades. «Ces palmarès ne sont pas parfaits, mais au moins ils donnent une information aux citoyens. Et celui-ci aide en particulier ceux qui ne sont pas introduits dans les bons réseaux.» En ces temps de crise hospitalière, cela peut être encore plus utile.
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