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samedi 19 novembre 2022

A la barre «C’était lui ou moi» : aux assises de Seine-Maritime, deux femmes «sur le chemin du crime» et un corps démembré

par Julie Brafman, Envoyée spéciale à Rouen   publié le 19 novembre 2022

Céline Vasselin et Jessica Adam ont été condamnées respectivement à 22 et 17 ans de réclusion criminelle, samedi, pour l’assassinat et le démembrement de Sliman Amara en 2018. Récit d’une semaine d’audience, entre effroi du crime en tandem et recherche du mobile.

On l’a vu dans les yeux des jurés feuilletant l’album du crime, dans les allers-retours de l’huissier à la barre avec sa boîte de mouchoirs, dans les mots rapportés d’un petit garçon, qui, sachant que «maman a tué papa» voudrait que «soit dit à la juge en rouge qu’il est très bien chez Nanou [sa famille d’accueil, ndlr] et aimerait y rester». Dans cette cour d’assises se dressait un mur d’effroi, infranchissable. Peut-être même avait-il surgi dès la lecture de l’ordonnance de mise en accusation, construit par cet empilement d’objets signant la préméditation : des charlottes, des combinaisons, des gants, une feuille de boucher, une masse, une scie… Par cette litanie de verbes : «empoisonner»«égorger»«découper»«hacher»«dissoudre». Le 4 novembre 2018, le corps incomplet de Sliman Amara, 45 ans, a été repêché par la brigade fluviale de Rouen, dans la Seine, dans une bâche translucide. Suivi par un mollet et une main, empaquetés dans des sacs-poubelles. Sa tête ne sera jamais retrouvée. Le mur était aussi d’encre et d’incrédulité, entre gros titres de la presse – les «diaboliques»«les démembreuses»«les dépeceuses» – et petite mine d’un monsieur moustachu venu assister pour la première fois à un procès : «Je voudrais comprendre comment elles ont pu faire un truc pareil.»

Pendant une semaine, Céline Vasselin, 35 ans, a comparu pour avoir assassiné et démembré son compagnon. A ses côtés, Jessica Adam, 39 ans, était jugée pour lui avoir prêté main-forte, sans même connaître la victime. «Les diaboliques» sont deux mères au casier immaculé, revenues d’une nuit de charpie comme on se réveille en sursaut. Quand elles ont été arrêtées, le 8 novembre 2018, elles ont confessé leur forfait sans rechigner. Elles ont acquiescé à nouveau face aux jurés : «oui», coupables. L’enjeu de ce procès n’était pas tant celui de leur responsabilité, que de franchir la haie d’horreur pour tenter de répondre à tous les «pourquoi».

«Energie funeste»

Néanmoins, jusqu’à jeudi soir, de Céline Vasselin (comme de Jessica Adam), on n’aura entendu que le son des sanglots. Elle serait interrogée «plus tard», avait décidé la présidente, Nathalie Gavarino, comme si elle redoutait elle-même de s’approcher trop près du crime, choisissant de juger deux ombres. L’accusée se lèvera enfin à la veille de la clôture des débats, sommée de tout dire d’un coup, sa vie et son geste. Six heures d’interrogatoire impossible. Et un procès qui a commencé au moment où il s’est achevé.

Dans cette affaire, tout est un mystère, de l’ordinaire du profil des accusées – «aucun trouble psychique»«aucun trouble mental» – à la banalité de leur lien. Contrairement à ce que l’on imagine, ce n’est pas l’histoire d’une amitié indéfectible, de celle à l’étoffe romanesque avec serment de loyauté et solidarité à perpétuité. C’est à peine si l’une connaissait le nom de famille de l’autre. Céline Vasselin était l’esthéticienne de Jessica Adam. Voilà tout. Ce qui ne les empêchera pas, animées par «une énergie funeste», de planifier pendant trois mois l’élimination d’un homme, sans jamais dévier «du chemin du crime», selon les mots de l’avocate générale, Olga Martin Belliard. Et de réclamer à leur encontre des peines lourdes de 30 et 25 ans de réclusion criminelle.

Ça a débuté comme ça. Par un hasard tombé sur un coin de trottoir. En 2007, Céline Vasselin a 20 ans, elle marche dans la rue quand un jeune homme brun lui glisse un petit papier avec écrit «Slim» et son numéro. Elle le trouve «très mignon», ils se revoient à l’Armada, ce grand rassemblement de voiliers dans le port de Rouen. Ils vivront ensuite une année de «magie», de dîners à Honfleur en bouquets de fleursA l’époque, Sliman Amara emménage très vite chez Céline Vasselin. Puis quelques années plus tard, en 2014, dans le pavillon à Petit-Quevilly, que la jeune femme achète avec Josette, «sa petite maman» qui l’a élevée seuledont elle est très proche voire «fusionnelle». Sliman vit du RSA et de la retape de voitures, il participe aux travaux de rénovation de la maison. Il ne s’entend pas du tout avec Josette.

A la naissance de Paul (1), en 2015, l’ambiance devient plus orageuse. Céline Vasselin appelle ça, les «crises». Elle raconte des éruptions de colère et d’insultes, souvent décuplées par l’alcool. Son compagnon tape dans les meubles et «fait valser» les objets, décrit-elle. Au début, «les crises n’étaient pas régulières», alors elle s’est dit que ça allait s’arrangerMais elles se sont intensifiées. A tel point qu’en janvier 2018, Josette est partie. «Sliman criait sur son fils, disait des gros mots mais je ne l’ai jamais vu le taper», a indiqué cette dernière aux enquêteurs.

Sur le banc des parties civiles, les deux frères de la victime, sa sœur, ainsi que sa fille d’une première union se tiennent les bras croisés, regards hostiles. Ils ne comprennent pas, ils n’ont pour souvenirs que ceux d’un homme «adorable avec Céline»«plein de joie de vivre»«Est-ce que vous avez subi des violences physiques ?»questionne la présidente. «Est-ce que le viol en fait partie ?» répond la voix juvénile de l’accusée. Selon elle, le moment «déclencheur»serait survenu en juin 2018 quand elle lui a annoncé qu’elle le quittait : «Il y avait un couteau sur la table, il a dit “je vais te tuer” […]. Dans ma tête c’est une conviction, il ne me laissera jamais tranquille. C’est pour cela que je n’appelle pas la police. A partir de ce jour-là, c’était lui ou moi. Je vrille totalement.»

Terreur domestique et puissance meurtrière

Il y aura d’abord la «première tentative». Céline Vasselin endort Sliman Amara avec du Seresta (un anxiolytique) mélangé à son repas puis elle lui injecte de l’air en intraveineuse. Ça ne fonctionne pas. Alors, une nuit, elle essaye de l’étouffer pendant son sommeil, avant de s’arrêter «au bout de cinq secondes». Plus la trentenaire au visage encadré de cheveux blonds parle, plus les jurés sont ballottés entre deux mondes, celui de la souffrance et celui d’une revanche calculée, celui de la terreur domestique et d’une puissance meurtrière en marche, celui de la contrition et celui du déni. Céline Vasselin subit et planifie. Elle souffre et s’organise. A l’audience, elle pleure et se reprend.

«Ce procès n’est pas celui de la violence conjugale», balaiera l’accusation, mais d’une femme qui a décidé de se «débarrasser» de son conjoint – «pour un mobile financier ? D’emprise ? Ou juste pour que sa mère revienne chez elle ?» Et de souligner que Céline Vasselin n’a jamais déposé de main courante, la seule trace des violences figure dans les confidences à ses amies, comportant «des incohérences, des fluctuations, des retraits et des ajouts». Isabelle C., 51 ans, qu’elle considérait comme une «grande sœur», la verra à de nombreuses reprises «éteinte», les «yeux enflés». Céline Vasselin lui dira : «Le diable était là, il m’a fait passer une nuit d’enfer.» Un jour, elle a lâché : «On va le tuer.» Ce sera pour le 3 novembre, a-t-elle ajouté, ce qui vaut désormais à Isabelle C., de comparaître – libre – pour «non-empêchement de crime». La cinquantenaire, en invalidité, soutient qu’elle «n’y croyait pas», qu’elle ne savait même pas qui était «on».

Quand elle était petite, Jessica Adam a vécu dans une voiture, chez des amis ou dans un squat sans eau ni électricité, en région parisienne. Elle n’a jamais connu son père, elle a grandi avec son beau-père, son frère, sa sœur, sa «génitrice» et beaucoup de bouteilles d’alcool. L’accusée aux joues rondes et cheveux en queue-de-cheval, se défait de son masque de détachement. Sa voix tremble. Elle redoute de ne pas parvenir à raconter «devant des inconnus ce qu’[elle] n’a jamais dit même à des proches». Elle poursuit. Il y a le jour où José, son beau-père, l’a traînée par les cheveux, le jour où il lui a plongé la tête dans les toilettes, celui où il l’a enfermée dans un placard parce qu’elle n’a pas réussi à écrire une lettre de demande de logement. Elle avait 4 ans. Ou encore quand il l’a forcée à manger des mégots ou à assister à l’égorgement de son chien. «Les attouchements ont commencé quand j’avais 4 ans.A 8 ans, j’ai dû lui faire des fellations.» Sa mère n’a pas réagi. Jessica Adam a été placée en famille d’accueil à 15 ans. Quant à José, il a fui au Portugal avant d’être condamné par la justice pour agressions sexuelles.

Aujourd’hui, depuis sa prison, elle appelle souvent ses trois enfants, les aide pour les devoirs ou «leur envoie des recettes pour éviter qu’ils ne mangent toujours la même chose». Jamais elle ne leur parle des faits. Pourquoi a-t-elle accepté de tuer un inconnu ? D’acheter un hachoir sur Le Bon Coin afin de faire disparaître son corps ? Pourquoi n’a-t-elle jamais reculé alors «qu’elle ne ferait pas de mal à une mouche», selon ses mots ? Elle pense que le psychiatre a raison, que ce sont les «cicatrices de l’enfance mal refermées». Ou toute cette «empathie» qu’elle ressentpeut-être devrait-elle «moins aimer les gens».

Achats préparatoires et répartition des tâches

En 2018, elle voyait Céline Vasselin pour des séances d’épilation qu’elle troquait contre de l’aide au repassage. Elles s’échangeaient aussi des confidences. «Céline me racontait la violence de Sliman qui augmentait, l’alcool», décrit Jessica Adam. Elle a vu «le bleu dans le cou», elle a proposé de l’héberger, de l’accompagner pour porter plainte. Céline Vasselin a refusé, elle avait peur, Slimane l’avait menacée «de lui enlever son fils et de la tuer»«En septembre, elle me dit que ça devient de plus en plus dangereux, qu’il commence à s’en prendre à Paul», poursuit l’accusée. Elle a alors repensé à José. Et le «projet» est né. Pendant trois mois, les deux femmes ont planifié «ensemble» – «je lui ai dit : “Céline, tu vas quand même pas le découper ?” Elle m’a répondu : Ah c’est une bonne idée”» – et elles ont commencé achats préparatoires et répartition des tâches fatales.

Le 3 novembre 2018, tout s’est passé comme prévu : Céline Vasselin a écrasé une boîte et demie de Seresta dans des toasts servis à Sliman Amara. Il a glissé de sa chaise et s’est effondré sur le parquet du salon. Vers 19 h 30, Jessica Adam est arrivée dans le pavillon de Petit-Quevilly et elle a aussitôt revêtu sa combinaison. Avant d’achever la victime à l’aide d’une feuille de boucher puis d’un couteau. A la cave où elles avaient préparé des bâches, elles ont découpé le corps, «mécaniquement», imaginant qu’en retirant sa broche au mollet, en coupant la pulpe des doigts, en versant de l’acide sur son visage, elles le rendraient non identifiable. Ne se doutant pas qu’il était fiché et qu’il suffirait de son ADN.

Après avoir jeté la dépouille en morceaux dans la Seine, à 0 h 52, Céline Vasselin a envoyé un message à Isabelle. Il était écrit «LOL», ça signifiait que «c’était fait». Le lendemain, elle a tout nettoyé. Et à son fils, elle a simplement dit : «Papa est parti.» Le petit garçon qui a désormais 7 ans lui écrit en prison parce que les visites le perturbent trop. Il aimerait bien «comprendre des choses», dit son avocate, alors dans la dernière lettre, il a demandé : «Pourquoi ?»Céline Vasselin a répondu : «Maman a donné un médicament à papa et il s’est endormi.»

Il y a longtemps, en 1952, dans une autre cour d’assises, Amélie Rabilloud, une petite dame sans histoire, avait comparu pour avoir tué et découpé son mari «qui lui rendait la vie impossible». Avant de disperser ses restes emballés dans des filets à provision à Savigny-sur-Orge. Elle a inspiré à Marguerite Duras l’Amante anglaise dont ce passage : «Je cherche qui est cette femme, Claire Lannes. Elle a commis un crime et ne donne aucune raison. Alors je cherche pour elle.» A Rouen aussi, on a cherché pour Céline Vasselin. Mais, on a surtout cherché sans elle. Samedi après-midi, elle a été condamnée à une peine plus clémente que celle requise : 22 ans de réclusion criminelle. Jessica Adam a écopé de 17 ans et Isabelle C. a été acquittée.

(1) Le prénom a été changé.


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