par Arthur Quentin publié le 26 août 2022
Doctolib n’a pas manqué de réagir après avoir été épinglé pour avoir référencé des praticiens adeptes de la naturopathe Irène Grosjean qui promeut notamment des attouchements sexuels sur des enfants pour faire tomber leur fièvre. Lundi, la plateforme de prise de rendez-vous médicaux en ligne a annoncé la suspension de 17 profils associés à ces pratiques dangereuses, proches du charlatanisme et de dérives sectaires.
Ce jeudi, Doctolib va plus loin et affirme dans un communiqué avoir pris une «première série de mesures […] visant à renforcer ses procédures de vérification et de signalement des professionnels référencés sur son site».
L’entreprise qui se présente comme un annuaire de professionnels de santé, mais dont 3% des 170 000 profils référencés exercent dans le domaine du bien-être ou du médico-social, se décide donc à prendre le sujet à bras-le-corps. Naturopathes et sophrologues référencés sur la plateforme vont être scrutés, certains profils peut-être supprimés. Les postulants, eux, pourraient s’orienter vers des plateformes concurrentes. Sur le marché de la prise de rendez-vous sur Internet, les sociétés se rémunèrent grâce aux abonnements payés par les utilisateurs référencés. Doctolib vend par exemple son logiciel d’agenda en ligne 129 euros par mois. Les mesures annoncées cette semaine représentent donc un (léger) manque à gagner. Et une aubaine pour les autres plateformes qui pourraient bénéficier d’un appel d’air…
Maiia, l’entreprise la mieux armée pour concurrencer Doctolib dans ce marché quasi monopolistique, n’entend pourtant pas en profiter. Cette filiale de l’entreprise cotée en Bourse Cegedim a toujours eu pour credo de n’accepter que des professionnels disposant d’un numéro RPPS ou Adeli. Deux certifications qui garantissent que l’on a affaire à un professionnel de santé.
«Règles d’acceptation de professionnels»
Maiia a pourtant été mis en cause mardi sur Twitter par le collectif l’Extracteur «informant sur les dangers de certaines pseudo-alternatives en matière de santé et d’alimentation» qui pointait du doigt la présence d’une naturopathe «formée et chaudement recommandée par Irène Grosjean» sur la plateforme. Le directeur marketing de Cegedim, Matthieu Becamel, se justifie en expliquant que lorsque des contrats sont signés avec des structures comme des maisons de santé, l’ensemble des soignants de celle-ci sont référencés sur Maiia. «Il arrive que dans le lot il y ait un praticien qui ne soit pas un professionnel de santé», clarifie-t-il. Cela se produit relativement rarement en ce qui concerne les adeptes de médecines alternatives : seuls deux naturopathes sont trouvables sur la plateforme. Clément Bastie, un des membres de l’Extracteur interrogé par Libération, confirme que le dauphin de Doctolib est bien «au-dessus en ce qui concerne les règles d’acceptation de professionnels». Et que ses «concurrents devraient s’en inspirer».
Matthieu Becamel tient tout de même à relativiser : «La naturopathie, on peut y croire ou non, mais cela reste un métier qui est reconnu. Au sein de cette profession, plusieurs courants de pensée coexistent. Dont certains sont plus problématiques que d’autres»,euphémise le directeur marketing de Maiia, en évoquant la «papesse du cru». Irène Grosjean a notamment affirmé que l’on pourrait guérir du sida en suivant un régime à base de graines, de crudités et de fruits. «Une des deux seuls naturopathes sur notre plateforme est une de ses adeptes. C’est pas de chance pour nous. Sans elle nous étions presque immaculés…» ironise-t-il, avant de préciser que des mesures correctives vont être prises pour ces deux cas.
Parmi les autres sociétés du secteur de la prise de rendez-vous médical en ligne, certaines, comme Alaxione, se distinguent. A la différence de Doctolib et Maiia qui sont des plateformes accessibles pour tout un chacun, elles servent à mettre des médecins en relation entre eux, en interprofessionnel. Lorsqu’un médecin généraliste souhaite prendre un rendez-vous chez un spécialiste pour son patient, par exemple. «Les échanges restent entre professionnels de santé : ils n’ont donc pas de visibilité particulière aux yeux du patient. C’est pourquoi on n’est jamais sollicités par des praticiens de médecine alternative, qui recherchent surtout une vitrine», analyse le créateur d’Alaxione, Serge Zaluski.
«Soit des conseils farfelus, soit complètement dans l’illégalité»
D’autres sont à l’inverse de véritables fourre-tout. La plateforme Prendreunrendezvous.fr, par exemple, qui référence aussi bien des médecins que des avocats ou des moniteurs d’auto-école. «Le problème ne se pose pas pour nous. Un naturopathe peut tout à fait s’inscrire. Du moment qu’il fait son travail, nous, on est juste là pour lui vendre un agenda en ligne», soutient le directeur du site, qui souhaite rester anonyme. En revanche, «si nous recevons des plaintes sur ces profils, oui nous suspendrons des comptes», assure celui qui facture ses abonnements 15 euros par mois.
Un site en particulier pourrait accueillir l’exode de médecins alternatifs chassés de Doctolib : Médoucine. Fondée en 2016, elle a créé son fonds de commerce sur les pratiques de soins non conventionnelles et ne compte aucun professionnel de santé. En cela, l’entreprise, contactée par Libération, refuse d’être qualifiée de concurrente de Doctolib. Membre de l’association NoFakeMed, Mathieu Repiquet s’est penché sur le cas de Médoucine dans plusieurs enquêtes indépendantes : «Parmi les thérapeutes qui sont référencés, tous ne sont pas dangereux. La plupart sont des naturopathes qui donnent des conseils “de bon sens” comme faire du sport, manger moins de viande, plus de légumes… Mais une très grande partie donne soit des conseils farfelus soit est complètement dans l’illégalité. Des charlatans qui prétendent diagnostiquer des cancers à partir de la physique quantique par exemple», alerte-t-il.
«Nous avons des processus qualité stricts qui nous conduisent à exclure les praticiens qui auraient un exercice non conforme à notre charte éthique ou à la réglementation en vigueur», répond la direction de la société Médoucine. Mathieu Repiquet dit douter de cette affirmation : «Elle tient le même discours depuis un an, alors qu’on lui a bien mis devant les yeux que plusieurs centaines de praticiens de son réseau sont des charlatans. Rien n’a changé depuis». Face à la pression publique actuelle, l’entreprise, qui vend son service de référencement pour 129 euros à plus de 2 000 praticiens, pourrait se mettre à sévir. A moins qu’elle ne profite du renforcement des procédures sur d’autres plateformes pour devenir le nouvel eldorado de la médecine alternative.
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