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mardi 23 août 2022

A la folie (4/6) Paul Taesch, mémoires d’interné

par Frédérique Roussel   publié le 23 août 2022

Cette semaine, ­«Libé» arpente les couloirs de l’asile psychiatrique. Aujourd’hui, les écrits d’un patient qui a documenté l’envers de ce lieu d’enfermement, dont le témoignage a été mis au jour il y a peu par un historien. 

Interné à l’asile Saint-Athanase de Quimper depuis trois mois, Paul Taesch se met à écrire l’histoire de sa vie. Ce 24 mars 1896, il n’a pourtant que 22 ans. Le registre d’entrée le décrit ainsi : «Un mètre 650 millimètres, cheveux et sourcils châtain clair, front haut, yeux gris, nez moyen, bouche petite, [pas de] barbe, menton rond, visage ovale, teint pâle.» Ce Parisien est arrivé le 20 décembre 1895 au milieu de tout un contingent de patients transférés dans le Finistère pour soulager les établissements de la région parisienne. L’ancien séminaire de la colline de Creac’h Euzen, reconverti en 1826 en centre départemental des aliénés pour les hommes, renferme quelque 600 internés à la fin du XIXe siècle ; les femmes, elles, sont à l’hospice de Morlaix. Plus d’un siècle plus tard, le chercheur en histoire Anatole Le Bras a exhumé l’émouvante autobiographie de Paul Taesch. Elle dormait dans son dossier aux archives de l’asile. Déroulé sur vingt grandes feuilles de papier, le texte sonne aussi comme une plaidoirie adressée au directeur-médecin pour une autorisation de sortie (qui ne sera effective que quatre ans plus tard). A partir de ce témoignage précieux sur l’enfance aliénée, l’historien a mené une enquête pour reconstituer la vie, ou plutôt les multiples vies, de son auteur multirécidiviste asilaire. (1)

«Envers du pouvoir psychiatrique»

«Je suis né à Paris le 13 février 1874, rue Bonaparte numéro 60, et suis fils de fille née Virginie Taesch, morte des suites de couches le 26 février 1874 ; treize jours après ma naissance. Père inconnu. Etant orphelin de bonne heure, madame Paule Cartier ne voulut pas que je tombasse entre les mains de l’assistance publique, et me plaça en nourrice jusqu’à l’âge de 6 ans. Maintenant, monsieur le directeur, avant de commencer ce récit, il faut que je vous cite les membres de ma famille par leurs noms ainsi que des personnes qui ont eu un rôle dans mon existence passée.» Et Paul Taesch relate, entre autres, scènes de maltraitance, crises de nerfs simulées et enfermements. Dès l’âge de 12 ans, apprenti chez un pâtissier, le jeune garçon, trop colérique, est interné dans la section pour enfants aliénés de l’hôpital Bicêtre. Diagnostic d’entrée : «Atteint de débilité mentale avec épilepsie ; incontinence nocturne d’urine. Signé : Bourneville.» L’adolescent, devenu ensuite jeune homme, fera des allers-retours incessants entre Bicêtre («hystéro-épilepsie, hystérie simulée, imbécillité»), Ville-Evrard («débilité mentale avec épilepsie, hébétude, tentative de pendaison»), Sainte-Anne («débilité mentale avec troubles intellectuels et impulsions morbides»), Quimper («dégénérescence mentale avec folie morale, mauvais instincts»), etc.

«Formidable observatoire»

Lui affirme être simulateur, par paresse et peur de la misère, et non malade. Anatole Le Bras voit dans la rédaction de ses mémoires «le moment d’une reprise de possession de soi-même». «A Bicêtre, à Ville-Evrard comme à Quimper, la voix du patient nous révèle l’envers du pouvoir psychiatrique. La parole d’un interné ordinaire, que rien ne distingue réellement des autres que sa démarche autobiographique, est un formidable observatoire de l’état de l’institution asilaire à la fin du XIXe siècle.» Sortis des registres psychiatriques, le nom de Paul Taesch et ses traces se perdent pendant une dizaine d’années, jusqu’à son acte de décès de l’hôpital Cochin, le 25 février 1914 : tuberculose pulmonaire.

(1) Un enfant à l’asile, Anatole Le Bras, préface de Philippe Artières, CNRS Editions, 2018.


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