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lundi 22 août 2022

A la folie (1/6) Eugène Hugo à Charenton, doux à lier

par Frédérique Roussel   publié le 19 août 2022 

Cette semaine, «Libé» arpente les couloirs de l’asile psychiatrique. Aujourd’hui, le frère de Victor Hugo aux «idées bizarres», lui aussi écrivain, qui mourut après quinze ans d’enfermement.

«Celui dont on ne parle pas», affirme Pierre Dufay dans son livre de 1924, sur la vie et les œuvres d’Eugène Hugo (1). Victor Hugo avait un frère mort jeune et fou, son aîné de dix-sept mois, le cadet d’Abel. Il a «fini» à l’asile de Charenton (Val-de-Marne), à 36 ans, le 20 février 1837, après quinze ans d’enfermement. «Il est bon pour Charenton», disait-on à cette époque pour désigner l’institution pour aliénés, érigé en 1641.

Complices de pensionnat, mêmes goûts littéraires, les deux frères montrent un don précoce pour l’écriture. Les œuvres d’Eugène écrites entre 17 et 23 ans témoignent d’une sensibilité romantique. Avec Abel et Victor, ils fondent la revue le Conservateur littéraire en 1819. «Cet Eugène était un blond et un doux, un effacé et un timide, écrit Pierre Dufay. Il semble avoir tenu peu de place dans la famille : ses frères le dominaient. Au Conservateur littéraire, que l’aîné et le plus jeune dirigeaient, il collaborait à peine.»

Au fur et à mesure que Victor est reconnu, Eugène s’efface jusqu’à arrêter d’écrire. Fragile, il supporte mal la mort de sa mère et les fiançailles de Victor avec Adèle Foucher, son amour secret. Une fugue en avril 1822 met ses proches en alerte. «Depuis hier nous sommes dans la désolation. Il y a bien longtemps qu’Eugène était tout à fait changé pour nous. Son caractère sombre, ses habitudes singulières, ses idées bizarres avaient mêlé de cruelles inquiétudes aux douleurs de notre mère bien-aimée», écrivent ses deux frères à leur père le 11 avril.

A mesure qu’approche la date du mariage, sa santé et son humeur déclinent. Sa première grande crise éclate le jour du mariage de Victor et Adèle le 12 octobre 1822. Surpris à tenir des propos incohérents, il est exfiltré et enfermé par Abel dans sa chambre. Il est retrouvé le lendemain hurlant et tailladant les meubles à coups de hache. Diagnostiqué schizophrène, Eugène est suivi une première fois en décembre 1822, puis son père le prend chez lui à Blois, pour le renvoyer de nouveau à Paris, aux bons soins du docteur Esquirol. «Le malade est très fort, il faut l’affaiblir, écrit ce dernier dans sa recommandation. Les saignées seront très utiles. Il a la tête et le cou gros, disposition aux engorgements de cerveau.»

En juin 1923, Eugène Hugo entre à l’asile de Charenton. Pour ne plus en sortir. Il ne peut plus recevoir de visites de la famille et meurt sans avoir recouvré la raison. Victor Hugo, sans doute habité par ce deuil, évoque la figure d’Eugène dans les Jumeaux et dans les Voix intérieures : «A Eugène vicomte H.» (1937) : «Puisque le Seigneur Dieu t’accorda, noir mystère ! /Un puits pour ne point boire, une voix pour te taire, /Et souffla sur ton front, /Et, comme une nacelle errante et d’eau remplie, /Fit rouler ton esprit à travers la folie, /Cet océan sans fond».

(1) Eugène Hugo, Sa vie, sa folie, ses œuvres, éd. Jean Fort.


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