par Margaux Lacroux publié le 25 août 2022
Après un été bouillant où les canicules se sont succédé, de nouveaux pics de chaleur ont encore sévi cette semaine. La température anormalement haute met nos corps à rude épreuve mais affecte aussi notre santé mentale. Plus il fait chaud, plus le taux de suicide augmente, selon une étude dévoilée mercredi par l’Institut national de la santé et de la recherche médicale (Inserm), qui a examiné les causes de la mortalité en France sur une période de près de cinquante ans. Rémy Slama, responsable de l’étude et directeur de recherche, détaille les mécanismes qui peuvent expliquer ces résultats.
Jusqu’ici en France on s’intéressait peu au lien entre changement climatique et santé mentale, est-ce que cela est en train d’évoluer ?
Je n’ai pas la vision d’ensemble des études qui pourraient être en cours sur le sujet, mais je ne suis pas sûr que beaucoup de monde s’intéresse à ce lien en France, cela reste rare. A l’Inserm, nous y sommes venus par l’angle de l’épidémiologie environnementale et des effets de la température en général sur la mortalité. Cette étude a été mise en place il y a trois ans et à l’Inserm, comme en France, c’est la première de ce type. Nous avons comparé ce qui se passe pour chaque cause de décès depuis cinquante ans.
Qu’avez-vous constaté ?
On a vu une spécificité pour la mortalité par suicide. Pour toutes les causes pathologiques de décès (les maladies cardiovasculaires, respiratoires et autres), il y a une augmentation de la mortalité autant pour les températures hautes que basses. Mais le suicide se démarque avec une augmentation régulière de la mortalité à mesure que la température augmente, sans augmentation symétrique de la mortalité pour les températures basses. Plus il fait chaud, plus la mortalité par suicide augmente, c’est aussi simple que ça. L’accroissement est à peu près régulier. Il n’y a pas de seuil où, par exemple, soudainement à partir de 30 °C les suicides se multiplient. Il y a vraiment un phénomène continu, progressif : chaque degré en plus augmente un petit peu le risque de suicide. Nous avons aussi observé que l’effet de la chaleur était à court terme. Ce n’est pas la température moyenne des deux-trois jours précédents qui joue pour le risque de suicide, c’est la température du jour même.
Par quels mécanismes la chaleur peut-elle affecter notre santé mentale ?
Cela n’est pas directement étudié par notre étude, mais il existe des hypothèses sur les mécanismes sous-jacents. Une diminution du taux de sérotonine ou des contacts sociaux pourrait expliquer la relation statistique très claire entre températures et mortalité par suicide. D’abord, des études aux Etats-Unis ont mis au jour le fait que les comportements agressifs et les crimes violents sont plus fréquents quand les températures sont élevées. La violence peut se tourner vers les autres ou vers soi-même.
On a aussi observé que la sérotonine, un neurotransmetteur très important dans le cerveau qui joue un rôle d’inhibiteur des comportements impulsifs, est à des niveaux plus faibles quand la température augmente. La température ferait baisser cette substance, les comportements impulsifs seraient moins inhibés. Le risque de suicide est complètement multifactoriel mais le passage à l’acte pourrait ainsi être déclenché dans certains cas par l’augmentation des températures. On peut aussi faire une autre hypothèse : il y a moins d’interactions sociales quand les températures deviennent très élevées, ce qui peut jouer un rôle.
A quoi pourraient servir vos résultats ?
Ils montrent qu’il y a une tendance nette, et du point de vue de la santé publique, c’est quelque chose d’important. A ma connaissance, dans les campagnes de prévention du suicide, autant l’importance de l’environnement familial est bien connue, autant les effets de la température ne sont pas pris en compte. Il est clair que l’entourage de personnes à risque (en dépression ou qui ont déjà fait des tentatives de suicide) pourrait être alerté de cette influence des températures et donc être particulièrement vigilant lors des canicules. Cela peut simplement vouloir dire être davantage présent à ce moment-là pour limiter le risque d’un passage à l’acte ou s’assurer que ces personnes s’exposent moins à la température.
On sait que le changement climatique va s’accentuer. Est-ce que les effets sur la santé mentale risquent de s’intensifier aussi ?
Une étude américaine publiée cette année s’est basée sur les projections climatiques du Giec, qui montrent que plus la température moyenne va augmenter, plus le nombre de journées chaudes va augmenter. Elle indique qu’on peut s’attendre à une augmentation de la mortalité par suicide. Aux Etats-Unis, elle pourrait être de l’ordre de 1 % avec un réchauffement de 1 °C, dans lequel nous sommes actuellement, et jusqu’à 4 % avec un réchauffement à 6 °C, ce qui n’est pas négligeable. Globalement en Europe, l’essentiel de la mortalité liée à la température provient des températures basses, mais avec un scénario où rien n’est fait pour réduire les émissions de gaz à effet de serre, des collègues de Barcelone ont démontré une augmentation assez forte de la mortalité attribuable à la température élevée. Mais si on arrive à rester dans les 2 °C, la mortalité globale attribuable à la température extrême variera assez peu en Europe.
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