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jeudi 25 août 2022

A la folie (5/6) Monrose, dingue de théâtre

par Frédérique Roussel  publié le 24 août 2022

Cette semaine, ­«Libé» arpente les couloirs de l’asile psychiatrique. Aujourd’hui, Claude-Louis-Séraphin Barizain, dit Monrose, membre de la Comédie-Française durant la première moitié du XIXe siècle et profondément dépressif. 

Le docteur Esprit Blanche veillait en coulisses, prêt à se précipiter si son patient défaillait. Ce 7 janvier 1843, Monrose devait interpréter Figaro dans le Barbier de Séville, un rôle qu’il connaissait par cœur. L’acteur était le spécialiste du valet fourbe et fripon des pièces de Marivaux, Molière et Beaumarchais. Mais il n’avait pas joué depuis longtemps. Le docteur Blanche, partisan de sortir les aliénés de leur isolement, avait autorisé sa représentation de retraite de la Comédie-Française. A cette annonce, les spectateurs s’étaient précipités. Etait-ce l’ombre de Monrose ou le grand Monrose de retour sur les planches? Etait-ce un adieu au théâtre ou était-il vraiment guéri ? Aurait-il encore cette verve caustique qui faisait de lui un acteur célèbre ? Avant le lever de rideau, la salle frissonnait. Un soir à Rouen, quelques années auparavant, le comédien s’était mis à bafouiller, à mélanger prose et vers. On s’était impatienté, on avait fini par le huer, le croyant ivre. Monrose avait perdu la raison ! Il avait été conduit dans la célèbre clinique sur les hauteurs de Montmartre (1). La salle trépigne. «Plus on dit : “Il est malade !” Et plus le parterre répond : “Qu’il paraisse !” Alors il reparaît ! A l’instant où il reparaît, où il va venir, on tremble : le frisson se répand dans la salle. Pauvre homme dit-on à la fin. Ô miracle ! Le voici ! C’est lui, c’est bien lui, c’est le Monrose d’autrefois !» écrit Jules Janin dans son Histoire de la littérature dramatique.

«Vapeurs hypocondriaques»

De son vrai nom, Claude-Louis-Séraphin Barizain, Monrose était né à Besançon en 1783 dans une famille de comédiens. Entré au Français en 1814, il mène une brillante carrière pendant vingt-huit ans. Physiquement petit, malingre et le visage expressif, Monrose était leste, audacieux, plein d’esprit au théâtre. Mais autant il montrait de gaieté sur scène, autant il était dépressif à la ville. «Des vapeurs hypocondriaques, compliquées d’obstructions mésentériques», a-t-on écrit à l’époque. Pendant vingt ans, il est suivi par un médecin, mais la mort de sa femme le plonge dans une profonde dépression au point d’être hospitalisé chez le docteur Blanche. En 1840, on le décrit en proie à des hallucinations. «Je ne m’appelle pas Monrose, dit-il au psychiatre. C’est un nom que j’ai pris, que j’ai usurpé. En le signant, j’ai commis un crime.»

Ses adieux s’achevèrent sans incident. Il aurait flanché un peu sur ces mots de Figaro à la fin du troisième acte : «Il est fou ! Il est fou !» Oubliait-il alors son rôle ? Dans la Gazette de France du 14 janvier 1843, la critique est élogieuse : «Jamais Monrose n’avait joué avec plus de verve, de chaleur et d’esprit le rôle du barbier, jamais son regard n’avait été plus pétillant, sa parole plus caustique.» Après les applaudissements et les rappels, le docteur Blanche le ramena immédiatement à Montmartre. Monrose ne ressortit jamais, mourut trois mois plus tard, le 20 avril 1843, à 59 ans. «Cette représentation suprême par un homme dont la raison était absente, ajoute Jules Janin, devait être comptée comme le chef-d’œuvre de la volonté du docteur Blanche ; nous appelions cela son miracle.»

(1) La Maison du docteur Blanche - Histoire d’un asile et de ses pensionnaires, de Nerval à Maupassant, Laure Murat, Lattès, 2001.


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