par Lucie Beaugé, Envoyée spéciale à Clermont (Oise) publié le 19 juillet 2022
Martine (1) mastique lentement son quartier de pamplemousse, pour n’en déglutir que le jus rafraîchissant. «C’est un petit peu acide», s’excuse la patiente lorsqu’elle retire un morceau d’agrume de sa bouche et grand temps le pose dans son bol. Elle en balaye le fond avec sa petite cuillère, appuyant sur les quartiers desséchés pour en sortir le dernier liquide, puis le boit comme une soupe en entrée. Derrière elle, un climatiseur mobile ventile la salle à manger. Il est 11h50 et, dehors, le mercure affiche déjà 31 degrés.«Oh oui, je suis du Midi ! Née à Nice !» s’exclame-t-elle fièrement lorsqu’on lui demande si elle aime la mer. Jadis, elle se baignait chaque été dans les criques sauvages des Alpes-Maritimes.
A l’hôpital psychiatrique de Clermont (Oise), il n’y a malheureusement pas l’ombre d’une piscine. Mais, pour éviter la déshydratation, surtout en période de fortes chaleurs comme actuellement , le personnel du service P3A (psychogériatrie et psychiatrie de la personne âgée) du Centre hospitalier isarien est bien rodé concernant les mesures préventives. Durant le repas, mais aussi lors de chaque tournée d’eau dans la journée, un soignant est chargé de noter minutieusement, croix par croix, le nombre de verres avalés par chaque malade. Objectif : 1,5 litre par jour. Les plus fragiles peuvent même se voir proposer une perfusion sous-cutanée.
En position allongée, un homme souffrant de dysphagie (difficulté à la déglutition) avale son eau gélifiée, aromatisée à la grenadine. «Pour beaucoup, c’est plus facile de boire avec du sirop. On en a aussi à la menthe, au citron, et certains sont allégés en sucre pour les diabétiques», précise Stéphanie, aide-soignante, en désignant un chariot et ses bouteilles. Avec l’âge, la transmission du signal de soif au cerveau est souvent altérée par la dégradation des capteurs. Certaines personnes âgées développeraient même une faible appétence au goût de l’eau.
Causes multiples
Vieillesse et bonne hydratation vont donc rarement de pair. Mais la raison n’est pas uniquement comportementale. La perte d’autonomie sur le plan physique comme psychique, la perte de mémoire, le manque d’appétit (certains aliments ont un apport en eau important) ou encore la capacité limitée à retenir l’urine sont des facteurs aggravants de la déshydratation. Et, pour les personnes âgées souffrant d’une maladie mentale, comme la schizophrénie ou les troubles bipolaires, l’équilibre entre besoins et dépenses hydriques est encore plus précaire.
«Ils n’ont pas la même gestion des émotions. Même lorsqu’ils ont soif, ils ne penseront pas forcément à boire», illustre Laurence Geret, cadre de santé à Clermont. Parce qu’elles ont une mauvaise perception de la chaleur, ces personnes âgées ne se rendent pas compte du danger qu’elles courent. Plusieurs fois, des patients ont été aperçus en ville, couverts d’un gros manteau en plein cagnard. «C’est un besoin pour eux de se couvrir car ils se sentent en sécurité, cela fait partie de leur pathologie», explique le chargé de communication de l’hôpital David Latus.
Pour les personnes atteintes de troubles mentaux, la prise de médicaments ne fait également pas bon ménage avec la chaleur. Certains traitements peuvent en effet majorer les risques de déshydratation. Les neuroleptiques perturbent la thermorégulation du corps, quand les psychotropes aggravent les effets de la chaleur, en abaissant par exemple la pression artérielle. En conséquence, Céline Talmant, cheffe du service P3A, procède à des ajustements de traitement pour certains patients. «On peut se permettre d’alléger les doses, mais il faut être vigilant, car le risque est de provoquer des décompensations», souligne la psychogériatre.
«L’idéal serait d’avoir la clim dans toutes les chambres»
Même avant que le département de l’Oise ne passe en vigilance jaune puis orange dimanche, le service psychiatrique de la personne âgée fonctionnait déjà en mode canicule. «Une personne âgée qui a soif, c’est déjà trop tard», insiste Céline Talmant. Chambres aérées tôt le matin, rideaux abaissés, accès à l’extérieur fermé l’après-midi, patients installés dans les salles à manger, brumisateurs… Depuis la canicule de 2003, il faut dire que des leçons ont été retenues. La climatisation est notamment généralisée dans les lieux communs, même si, pour Laurence Geret, «l’idéal serait d’en avoir dans toutes les chambres».
A l’époque, cette vague de chaleur meurtrière a engorgé les hôpitaux et entraîné la mort de près de 15 000 personnes en France, majoritairement des seniors. La cadre de santé travaillait déjà à Clermont. «Ici, on s’en est bien sorti», affirme-t-elle, n’ayant pas souvenir d’une hausse particulière ni des décès ni des nouvelles hospitalisations. Et d’ajouter : «Vous savez, il y a des problèmes de personnel partout, mais le sanitaire se porte mieux que le médico-social.» D’autant que les personnes âgées ayant des troubles du comportement, lorsqu’elles sont victimes de la chaleur, sont rarement envoyées en psy, mais plutôt vers les hôpitaux classiques et leurs urgences.
Ces derniers soirs, lorsque la chaleur n’était plus asphyxiante, les patients du service P3A se sont vus proposer un apéro en extérieur. Parasol déplié, du sirop (encore) et des chips à grignoter. Un moyen de présenter le tour d’hydratation, rébarbatif et protocolaire, comme un moment festif et convivial. «Les gâteaux apéro, avec un peu de sel, ça permet de leur donner soif. C’est déjà moins médical», indique Céline Talmant. Derrière la terrasse, un arrosoir traîne près d’une jardinière. Pour les patients, hydrater les plantes est une évidence qui n’a pas bougé. «C’est une activité phare pour eux. Il y a des choses qui restent malgré les troubles», remarque David Latus. Prendre soin d’autrui, même quand on ne sait plus trop le faire pour soi.
(1) Le prénom a été modifié.
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