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jeudi 28 juillet 2022

Polémiques Soupçons de fraudes, médicament à l’efficacité douteuse : la recherche sur Alzheimer dans la tourmente

par Olivier Monod.   publié le 27 juillet 2022 à

Des soupçons de fraude jettent le discrédit sur des résultats de recherche sur la maladie d’Alzheimer. Un chercheur français est impliqué et le développement d’un médicament remis en cause.

Appât du gain, espoir des patients et de leurs familles, hypothèses concurrentes et ambitions personnelles, ce cocktail détonant semble avoir fait complètement déraper une partie de la recherche sur la maladie d’Alzheimer. Dernier rebondissement en date, jeudi dernier, la très sérieuse revue Science publie une enquête sur de possibles fraudes scientifiques dans le domaine. De quoi «menacer une théorie dominante de la maladie», rien de moins, selon la revue. De quoi assurément alimenter les discussions lors de la conférence internationale sur la maladie qui se tient à San Diego du 31 juillet au 4 août.

Au cœur de l’enquête, les publications scientifiques d’un Français, Sylvain Lesné, chercheur à l’université du Minnesota aux Etats-Unis et de Karen Ashe, son encadrante à l’époque des faits. En deux mots, les photos utilisées dans certains de leurs articles pour justifier des résultats de leurs expériences seraient manipulées pour apparaître plus probantes. Cela concernerait plusieurs dizaines d’articles dont l’un, publié en 2006 dans la prestigieuse revue Nature a été cité plus de 2000 fois depuis sa parution. Nature a d’ailleurs publié le 14 juillet une note sur l’article invitant les lecteurs à la prudence quant aux résultats présentés, le temps que son enquête interne aboutisse. Sylvain Lesné n’a pas répondu à notre sollicitation mais son établissement affirme avoir ouvert une procédure pour établir la réalité de ces soupçons.

Communication «outrancière»

Selon Science, le travail mis en cause «sous-tend un élément clé de l’hypothèse amyloïde dominante mais controversée de la maladie d’Alzheimer». Une dramatisation qui n’est pas du goût de Jean-Charles Lambert, directeur de recherche à l’Inserm à l’institut Pasteur de Lille. «Communiquer de manière outrancière en disant que vingt ans de recherche sont remis en doute en raison d’un papier potentiellement frauduleux, ne va pas nous aider à avoir des fonds auprès des décideurs politiques», regrette-t-il.

Cette affaire repose sur un débat récurrent : à quoi est due la maladie d’Alzheimer ? Dans les années 90, des chercheurs arrivent à mettre en évidence que les formes héréditaires de la maladie sont liées à une mutation sur des gènes liés à la protéine amyloïde. Cette protéine s’accumule de manière anormale dans le cerveau des personnes malades. On a aussi démontré que des souris qui arrivent à nettoyer leur cerveau de ces plaques amyloïdes récupèrent une partie de leurs fonctions cognitives. Dès lors, la recherche, poussée par les laboratoires pharmaceutiques cherchant des médicaments, s’est orientée vers le rôle de la «cascade amyloïde» dans la maladie d’Alzheimer. Problème : les formes héréditaires ne représentent même pas 1 % du total. Est-ce que le mécanisme établi pour ces cas-là est généralisable à l’ensemble ? La question est loin d’être anodine.

Aussi, quand Sylvain Lesné, en 2006, isole une forme particulière d’amyloïde, appelée beta star 56, et qu’il prouve que, en l’injectant à des souris, celles-ci développent la maladie, une sérieuse étape est franchie, croit-on alors. Mais non. Non seulement ces travaux ne seront jamais reproduits par d’autres équipes mais le rôle toxique de ces formes solubles du peptide amyloïde chez l’humain n’est pas universellement admis. «On trouve très peu de publications sur beta star 56, et la plupart sont signées de membres de l’équipe initiale», relève Jean-Charles Lambert. De quoi sérieusement diminuer l’ampleur de la catastrophe si la fraude devait être avérée.

Sauf que l’affaire Lesné n’est qu’un dommage collatéral d’une affaire plus importante. Car le scientifique qui a mis au jour les possibles manipulations dans ces articles ne s’intéressait pas, à l’origine, spécifiquement à ces travaux.

Un médicament basé sur des études frauduleuses ?

A l’été 2021, Matthew Schrag, neurologue à l’Université Vanderbilt, aux Etats-Unis est contacté par des avocats, raconte Science. Leurs clients pensent qu’un médicament en cours de développement contre Alzheimer repose sur des bases frauduleuses. Il s’agit du Simufilam, porté par l’entreprise Cassava Sciences. Ce médicament est lui aussi supposé intervenir sur la cascade amyloïde. «En cherchant un nouvel antidouleur, ils se sont aperçus que leur molécule réduisait la toxicité des peptides amyloïdes. Ils ont donc décidé de positionner leur médicament contre Alzheimer», résume Philippe Amouyel, le directeur général de la fondation Alzheimer. «Mais ce n’était pas un candidat médicament très attendu a priori», précise-t-il.

Courant 2021, des pétitions sont envoyées à l’agence sanitaire américaine (FDA) pour qu’elle suspende l’essai thérapeutique en cours. Ces pétitions s’appuient sur l’analyse de Matthew Schrag, pour laquelle il a touché 18 000 dollars. Dans cette dernière le neurologue alerte sur de possibles fraudes dans les résultats de Cassava Sciences. L’entreprise rejette les accusations, selon Science. A la suite des soupçons émis, au moins cinq études scientifiques liées à Cassava Science ont été rétractées, c’est-à-dire dépubliées par le journal qui les avait acceptées. Un vrai discrédit. Et pourtant, la FDA maintient les essais en cours.

Les mécanismes de la maladie toujours débattus

Les autorités sanitaires sont en effet sous pression pour trouver un remède à cette pathologie. Depuis vingt ans, aucun médicament probant n’a été trouvé contre Alzheimer. Les laboratoires savent que le premier sur le marché empochera le jackpot. En réalité, le mécanisme précis de la maladie n’est toujours pas vraiment compris. «On sait que la maladie est associée à l’accumulation anormale de protéines amyloïdes mais aussi de protéines tau dans le cerveau. Mais par quel mécanisme et avec quelles conséquences ? Cela reste à déterminer. L’hypothèse de la cascade amyloïde préexiste aux travaux de Lesné et a des arguments forts, notamment basés sur les formes génétiques de la maladie. Il est cependant probable qu’elle ne suffise pas à elle seule à tout expliquer et que d’autres facteurs soient impliqués dans la genèse et l’évolution de la pathologie», juge Julien Lagarde, neurologue à l’hôpital Sainte-Anne à Paris.

D’autres cibles thérapeutiques potentielles existent en dehors des amyloïdes. Certains pensent que le point clef est une dérégulation de la protéine appelée tau au sein des neurones qui entraîneraient leur mort. «Il y a les amyloïdistes, les tauistes, et ceux qui pensent, comme moi, que la physiopathologie de la maladie d’Alzheimer est bien plus complexe et multifactorielle. Le système immunitaire intervient à certaines étapes de la maladie. Le métabolisme des lipides peut aussi avoir un rôle à jouer», explique Philippe Amouyel qui dirige un laboratoire de recherche sur la maladie. Son équipe a identifié pas moins de 75 gènes dont l’altération pourrait être liée à la maladie.

Des «patients prêts à accepter une certaine incertitude» ?

Pendant ce temps, la pathologie se développe. Selon la Fondation Alzheimer, il existe actuellement 900 000 malades en France et le cap des 2 millions pourrait être atteint d’ici 2030. Face à cette situation, une question éthique se pose. Quel degré d’incertitude accepte-t-on dans l’espoir d’avoir un médicament ? En 2021, les agences sanitaires américaine (FDA) et européenne (EMA) n’ont pas tranché dans le même sens. La première a approuvé l’Aduhelm, développé par Biogen, pas la deuxième.

L’effet thérapeutique de ce médicament n’est pas démontré de manière irréprochable, ce qui explique les différentes positions des agences. En 2019, le laboratoire a arrêté prématurément les deux essais cliniques de phase 3 testant l’efficacité du médicament. Les résultats intermédiaires étaient trop décevants. Puis, quelques mois plus tard, la firme refait des analyses et voit des effets positifs dans un seul des deux essais. Pour toute la communauté scientifique, cela appelle un troisième essai pour trancher. Mais que faire en attendant ? La FDA a décidé d’approuver le médicament car l’effet sur la réduction des plaques amyloïdes est prouvé même si l’effet thérapeutique ne l’est pas.

Les mécanismes de la maladie toujours débattus

Les autorités sanitaires sont en effet sous pression pour trouver un remède à cette pathologie. Depuis vingt ans, aucun médicament probant n’a été trouvé contre Alzheimer. Les laboratoires savent que le premier sur le marché empochera le jackpot. En réalité, le mécanisme précis de la maladie n’est toujours pas vraiment compris. «On sait que la maladie est associée à l’accumulation anormale de protéines amyloïdes mais aussi de protéines tau dans le cerveau. Mais par quel mécanisme et avec quelles conséquences ? Cela reste à déterminer. L’hypothèse de la cascade amyloïde préexiste aux travaux de Lesné et a des arguments forts, notamment basés sur les formes génétiques de la maladie. Il est cependant probable qu’elle ne suffise pas à elle seule à tout expliquer et que d’autres facteurs soient impliqués dans la genèse et l’évolution de la pathologie», juge Julien Lagarde, neurologue à l’hôpital Sainte-Anne à Paris.

D’autres cibles thérapeutiques potentielles existent en dehors des amyloïdes. Certains pensent que le point clef est une dérégulation de la protéine appelée tau au sein des neurones qui entraîneraient leur mort. «Il y a les amyloïdistes, les tauistes, et ceux qui pensent, comme moi, que la physiopathologie de la maladie d’Alzheimer est bien plus complexe et multifactorielle. Le système immunitaire intervient à certaines étapes de la maladie. Le métabolisme des lipides peut aussi avoir un rôle à jouer», explique Philippe Amouyel qui dirige un laboratoire de recherche sur la maladie. Son équipe a identifié pas moins de 75 gènes dont l’altération pourrait être liée à la maladie.

Des «patients prêts à accepter une certaine incertitude» ?

Pendant ce temps, la pathologie se développe. Selon la Fondation Alzheimer, il existe actuellement 900 000 malades en France et le cap des 2 millions pourrait être atteint d’ici 2030. Face à cette situation, une question éthique se pose. Quel degré d’incertitude accepte-t-on dans l’espoir d’avoir un médicament ? En 2021, les agences sanitaires américaine (FDA) et européenne (EMA) n’ont pas tranché dans le même sens. La première a approuvé l’Aduhelm, développé par Biogen, pas la deuxième.

L’effet thérapeutique de ce médicament n’est pas démontré de manière irréprochable, ce qui explique les différentes positions des agences. En 2019, le laboratoire a arrêté prématurément les deux essais cliniques de phase 3 testant l’efficacité du médicament. Les résultats intermédiaires étaient trop décevants. Puis, quelques mois plus tard, la firme refait des analyses et voit des effets positifs dans un seul des deux essais. Pour toute la communauté scientifique, cela appelle un troisième essai pour trancher. Mais que faire en attendant ? La FDA a décidé d’approuver le médicament car l’effet sur la réduction des plaques amyloïdes est prouvé même si l’effet thérapeutique ne l’est pas.

L’Aduhelm agit grâce à un anticorps monoclonal qui va cibler les plaques d’amyloïdes qui se forment dans le cerveau des patients. «Ils ont démontré une baisse de la présence des biomarqueurs amyloïdes de la maladie, mais ils n’ont pas clairement démontré que leurs patients allaient cliniquement mieux, résume Philippe Amouyel. La décision de la FDA revient à exposer les patients à un fort risque d’effets indésirables pour un bénéfice clinique qui reste encore à prouver.»

«Je pense que nous avons clairement entendu de la part des patients qu’ils sont prêts à accepter une certaine incertitude pour avoir accès à un médicament qui pourrait produire des effets significatifs», justifiait Peter Stein, un responsable de la FDA, lors d’un point presse au moment de sa décision. De fait, l’organisation américaine Alzheimer Association s’est réjoui sur Twitter d’une «décision historique». Un an plus tard, les ventes n’ont pas décollé. Biogen a même dû réduire la voilure sur la commercialisation de son médicament. D’une part il coûte 56 000 dollars par patient, ses effets ne sont pas démontrés et aux Etats-Unis, il n’est pas remboursé. Les Centers for Medicare & Medicaid Services (CMS) l’ont notamment exclu du dispositif d’assurance santé local, Medicare, en dehors des essais cliniques. Le financement d’une recherche rigoureuse et sans fraude reste plus que jamais nécessaire pour entretenir l’espoir de trouver un jour un traitement réellement efficace contre Alzheimer.


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