Par Jean-Baptiste Jacquin Publié le 26 juin 2022
Le nouveau président de la Cour de cassation alerte le gouvernement, alors que persistent les motifs ayant justifié la sanction historique par la Cour européenne des droits de l’homme en 2020.
Noyée dans le discours solennel lors de son installation en grande pompe, lundi 18 juillet, à la Cour de cassation, l’évocation de la condition carcérale par le nouveau premier président a tenu en deux phrases aussi synthétiques que percutantes. « La question des conditions de détention dans les prisons françaises est malheureusement ancienne, mais elle reste un sujet d’actualité qui ne devrait laisser personne indifférent. L’action conjuguée de la Cour européenne des droits de l’homme [CEDH], du Conseil constitutionnel, du Conseil d’Etat et de la Cour de cassation, ne suffit pas à la régler. »
Fort d’un tel constat, Christophe Soulard interpellait indirectement les responsables politiques installés au premier rang de cette cérémonie, la première ministre, Elisabeth Borne, la présidente de l’Assemblée nationale, Yaël Braun-Pivet, le ministre de la justice, Eric Dupond-Moretti, et le président de la commission des lois du Sénat, François-Noël Buffet.
Le droit a changé, pas la réalité
Depuis l’arrêt historique de la Cour européenne des droits de l’homme de janvier 2020, le droit a changé. Pas la réalité des prisons françaises. La France avait alors été condamnée en raison d’une surpopulation carcérale structurelle et de l’absence de recours effectif permettant à un détenu de faire cesser des conditions de détention qu’un tribunal jugerait indignes.
La Cour de cassation et le Conseil constitutionnel avaient suivi avant que le Parlement vote à la quasi-unanimité une loi « tendant à garantir le droit au respect de la dignité en détention », promulguée le 8 avril 2021. Tout détenu a désormais la possibilité de saisir le juge judiciaire pour faire constater des conditions de détention contraires à la dignité humaine et obtenir qu’il y soit mis fin.
En quinze mois, ce recours n’a quasiment pas servi. Dans le même temps, les conditions de détention n’ont pas cessé de se dégrader. Au 1er juin, les prisons comptaient 71 678 détenus (+ 7,6 % en un an) pour 60 703 places. Et 1 885 d’entre eux dorment sur un matelas au sol (+ 107,6 %). Quarante-neuf prisons affichent un taux d’occupation supérieur à 150 %.
Selon Dominique Simonnot, contrôleuse générale des lieux de privation de liberté, le recours de la loi de 2021 n’est pas utilisé, car « la solution retenue pour mettre fin à une situation indigne est le transfert dans une autre prison. Or, ils préfèrent rester près de leur famille pour les visites ». Selon le ministère de la justice, plus de 150 ordonnances ont été rendues par des juges sur la base de cette procédure depuis mars 2022… mais aucune information n’est disponible sur le sens des décisions.
Visite inopinée
Les choses pourraient peut-être bouger du côté du juge administratif, dont les pouvoirs ont pourtant été jugés par la CEDH sans effet sur les situations contraires aux droits de l’homme. Le tribunal administratif de Toulouse a accepté de prendre en audience, mardi 26 juillet, une requête en référé pour faire constater la non-exécution par le ministère de la justice des injonctions prises par le même tribunal, le 4 octobre 2021, au sujet de la prison de Toulouse-Seysses. Cela n’a l’air de rien, mais c’est une première. L’ordre des avocats du barreau de Toulouse et l’Observatoire international des prisons (OIP) demandent au juge de prononcer des injonctions sous astreinte financière.
« Nous sommes systématiquement confrontés à la difficulté de faire exécuter des injonctions pourtant ordonnées par un juge dans des situations d’urgence », explique Nicolas Ferran, le responsable juridique de l’OIP. Le Conseil d’Etat refuse d’organiser un suivi des injonctions qu’il prononce. Or, une action au fond prend trois ans, ce qui est peu compatible avec une situation de violation de la dignité humaine.
« Nos requêtes en référé pour demander des mesures d’exécution ont toutes été rejetées sans audience sous prétexte que nous n’apportions pas la preuve de l’inexécution de la première décision », détaille M. Ferran. De fait, l’administration pénitentiaire ne donne pas d’informations, l’OIP n’a pas le droit de rentrer en prison et les détenus n’ont pas les moyens de connaître la nature d’un marché passé avec une entreprise de dératisation ou un plan de réfection des sanitaires. Le juge est donc aveugle.
A Toulouse, le bâtonnier Pierre Dunac a profité de la possibilité créée par la loi pour la confiance dans l’institution judiciaire du 22 décembre 2021 pour visiter, de façon inopinée, le 11 mai, le centre pénitentiaire de Toulouse-Seysses… et constater que l’ordonnance d’octobre 2021 n’est pas totalement exécutée. « Aucun des équipements prévus ici n’a encore été posé », écrit-il ainsi au sujet des cours de promenade. Alors que le juge avait ordonné en urgence d’assurer une séparation dans les cellules avec les toilettes, l’installation de rideaux, en soit insuffisante pour l’intimité, « ne semble même pas avoir été généralisée », écrit-il dans la requête.
Cette maison d’arrêt affectée d’une surpopulation chronique comptait, au 1er juin, 1 045 détenus pour 644 places. Les conditions de détention déplorables y avaient été dénoncées dans un rapport du Contrôleur général des lieux de privation de liberté de juin 2021. A l’aune des réponses que le ministère de la justice fait à ses recommandations, la question de l’efficacité de cette autorité administrative indépendante peut être posée.
« Situation inhumaine »
Le 13 juillet, le Contrôleur général des lieux de privation de liberté publiait, selon une procédure d’urgence, au Journal officiel, des recommandations sur la prison de Bordeaux-Gradignan après une visite inopinée de ses contrôleurs pendant dix jours en juin. Ils y ont constaté « un nombre important de dysfonctionnements entraînant des atteintes graves à la dignité et aux droits fondamentaux des personnes détenues ».
Le quartier maison d’arrêt (pour les personnes non encore jugées ou condamnées à de courtes peines) de cet établissement comptait 657 détenus pour 281 places. Un taux d’occupation de 235 % que la canicule a dû rendre encore plus invivable.
Dans sa réponse, publiée au Journal officiel, Eric Dupond-Moretti invoque notamment le programme de construction de prisons qui devrait permettre de créer 173 places supplémentaires à Gradignan avec le nouvel établissement livrable en 2026. Ce qui provoque la colère de Mme Simonnot : « On décrit une situation inhumaine et l’on nous répond : “Ce n’est pas grave, dans quatre ans, il y aura un nouveau bâtiment !” »
Le ministre de la justice annonce la rédaction en cours d’un protocole entre les services pénitentiaires et les juridictions girondines « visant à réduire la pression carcérale ». Et de citer « celui qui a été signé à Grenoble ». Mais il ne faut pas en attendre de miracles.
Eric Vaillant, procureur de Grenoble, reconnaît que la convention signée en octobre 2020 avec la présidente du tribunal, la directrice de la prison et le directeur du service pénitentiaire d’insertion et de probation a une portée limitée. Le taux d’occupation de la maison d’arrêt, descendu à 130 % en juin 2020 (contre 160 % auparavant) grâce aux sorties anticipées en fin de peine décidées pendant le premier confinement, est aujourd’hui autour de 145 %. Le seuil de 130 % avait été choisi, car « nous avions constaté qu’il permettait un bon fonctionnement de l’établissement avec une baisse spectaculaire du nombre d’incidents et une meilleure prise en charge de chaque détenu », explique le procureur de la République. La régulation carcérale n’est pas gagnée.
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