par Blandine Lavignon, envoyée spéciale à Beyrouth
publié le 25 juillet 2022 à
Les premières lueurs du jour commencent à peine à percer dans le ciel pollué de la ville de Jdeideh, en banlieue de Beyrouth, que les rideaux de l’appartement de Mart al-Rahy sont déjà ouverts. Depuis trois semaines, Mart, atteinte de nanisme, travaille comme cuisinière dans un restaurant. Malgré les horaires matinaux, c’est une chance pour cette quinquagénaire. «J’ai trouvé quelque chose à faire dans ma vie», s’exclame-t-elle, ses yeux brillant d’excitation.
Bas du visage paralysé, colonne vertébrale déformée… sa petite taille s’accompagne d’une multitude de problèmes physiques. «Comme tous les Libanais, je souffre, mais quand tu es handicapée, tout est décuplé. Il est impossible d’accéder à des soins, d’être accompagné», soutient-elle, enfoncée dans un canapé du salon familial à la décoration sobre. Sa mère, avec laquelle elle vit, a préparé du café turc et quelques gâteaux. Mais depuis quelque temps, le café est un peu plus clair et les cernes un peu plus noirs. «Dans ce pays, rien n’est fait pour les handicapés, rien ne nous est accessible. Et lorsqu’on parvient malgré tout à se débrouiller pour accéder à nos droits, on nous regarde comme si nous n’avions pas notre place», soupire Mart en secouant ses cheveux bruns tirés en arrière.
Son quotidien est une montagne de difficultés dans un pays où les personnes handicapées souffrent d’un manque criant de structures adaptées. S’il n’existe pas de statistiques officielles sur le nombre exact, les associations estiment que 15 % de la population vit avec un handicap. Les guerres de 1975-1990 et de 2006, ainsi que les vagues successives d’attentats ont laissé de nombreux corps estropiés. Plus récemment, environ 900 personnes se sont retrouvées handicapées à cause de l’explosion du port de Beyrouth le 4 août 2020.
«Je n’ai pas les moyens de payer»
Mart subit de plein fouet les répercussions de la crise qui affecte sévèrement le Liban depuis 2019, aussi bien sociale, économique que politique. Ces deux dernières années, la monnaie libanaise a perdu plus de 92 % de sa valeur, tandis que les administrations se retrouvent dans l’incapacité de maintenir leurs services. Plus de 80 % de la population vit désormais sous le seuil de pauvreté. Avant, Mart touchait une petite aide de l’Etat, le daman, qui couvrait en partie ses frais médicaux, notamment 80 % des frais en cas d’hospitalisation. Mais depuis 2020, elle n’en a plus vu la couleur.
«Je ne peux pas aller à l’hôpital, j’ai désormais une infection dans le bas du dos, mais je n’ai pas les moyens de payer», explique-t-elle. Car sans daman, impossible pour elle de s’offrir une assurance : considérant qu’elle représente un important risque en tant que personne handicapée, les tarifs qui lui sont proposés sont exorbitants, oscillant entre 1 500 dollars mensuels (près de 1 500 euros) pour l’assurance maladie publique et plusieurs milliers de dollars du côté des assurances privées. Des coûts de toute façon inabordables pour la grande majorité des Libanais.
Aucun commentaire:
Enregistrer un commentaire